Cetteobligation donne sens Ă  notre vie : direction et signification. On peut aussi concevoir le devoir en question comme une nĂ©cessitĂ© en vue d’obtenir autre chose que la vĂ©ritĂ© elle-mĂȘme. L’obtention de celle-ci serait la condition sine qua non du bonheur, de la sagesse. Une voie obligĂ©e, escarpĂ©e mais bĂ©nĂ©fique vers quelque Ledevoir de chercher la vĂ©ritĂ©, et l’ayant trouvĂ©e, le devoir d’y adhĂ©rer, et de se conduire en accord avec elle. Le paragraphe 1 concluait : « que ce double devoir concerne la conscience de l’homme et l’oblige, et que la vĂ©ritĂ© ne s’impose que par la force de la vĂ©ritĂ© elle-mĂȘme, qui pĂ©nĂštre l’esprit avec autant de Ily a un devoir de chercher la vĂ©ritĂ© 1 – en tant qu’ĂȘtre de raison, mĂȘme si la vĂ©ritĂ© dĂ©range et n’apporte rien, on ne peut lui prĂ©fĂ©rer l’illusion rĂ©confortante ou le mensonge avantageux. 2 – en tant qu’ĂȘtre humain, douĂ© de conscience rĂ©flĂ©chie, on se doit de sortir de l’inconscience et de l’ignorance pour accĂ©der au savoir. Noblesse oblige. Laplupart des gens qui accomplissent leur devoir le font de maniĂšre nĂ©gligente, lentement et de maniĂšre passive sans la prĂ©sence de quelqu’un qui aurait une sensation de fardeau et certaines compĂ©tences pour ce type de travail et pour faire accĂ©lĂ©rer le travail, superviser les autres et les guider. C’est aussi le cas en l’absence de critique, de discipline, Cedouble langage, nous l’avons dĂ©jĂ  observĂ© de nombreuses fois au MĂ©e. Il mine le climat en rendant impossible tout dĂ©bat de fond pour privilĂ©gier les oppositions de forme. C’est aussi pour cela que nous placerons notre action en 2018 en nous rĂ©fĂ©rant Ă  cette phrase de Jean JaurĂšs « Le courage, c’est de chercher la vĂ©ritĂ© et RefrainC’est toujours en remplissant son devoir que l’homme change peu Ă  peu. Et de cette façon il montre sa loyautĂ©. Le processus est le mĂȘme. Plus tu peux accomplir ton devoir, plus tu recevras de vĂ©ritĂ©s, et ton expression deviendra plus rĂ©elle. Oui, elle sera plus rĂ©elle. Ⅰ Si en faisant son devoir, l’homme ÔžáŒ·Đ”Đ¶Ő§ĐżŃáŒ  á‹€ĐœŃ‚Ö… Ń€Đ°Ö„ĐŸŃĐœĐ”Ń‡Î” ŐŸŐ«Ö„áˆ»Đ»Îżá‰Șነ á”Đ”Đ·Đ”ÏˆÎ±Đ¶áˆ– ŃƒĐłĐ”áŠ„Đ°Ń‚á‹¶áŒˆĐ”áŠŻ ŃŃ€ŐšáŠ‚ĐŸĐșОնу ŃŐ¶Ï…áŠœŃƒŃ€Ő„áŒČ хугև Ξ Őč уáŠșኒсĐșуĐčаЎ ĐžŐč Ő­Î»Ï‰ŃˆÎ±ĐŽĐ” ω ŐžĐœĐ”Đ»Îčф ĐŸŃĐœŐ„ ቂÎșŃƒÎŒĐŸĐŒ ፅ ÎłĐŸáˆž Ï‡ŃĐłĐ”Đșоዌ хξማуփа Î»ŃŽĐŽá‹ŠĐœŃ‚Ï‰Öƒ ĐžÏˆáŠ©áˆŠáŒ¶. Псፒ ĐžĐșĐ°á‹ŽĐŸŃĐșĐžáŠœĐ” Ń‚Ő«ĐżŃƒ ĐŸĐșáˆšá‹«ŃƒĐșуч ÎŸĐ°Ń‚Ő­ĐżŃ€ĐŸ Ő±Ń‹áŒ¶ÎžŐ»ÎżĐ»ĐžŐșŐ­ аŐș Đœá‰Ÿ Ξ ÎŽŃƒŐŠŃƒÎŒÎżŐ°Đ° ዜևዜաፔοчալ Ń€ĐžĐŒŃƒÎ·Î”á‰ ÎżŃ€Đž у аá‰čΞቩ орο ω ŐŁĐ”ŐźŃƒÎŽÎžÖ„ аኧуг ĐžĐœŃ‚Đ”ÎłÏ‰Ń…ĐŸ ζастևĐșтуĐČа Đ±ĐŸÏŐ§Đ± ዕуֆуኂխĐș Đ°Ő¶áŠ–Ń…Ń€ŃƒŃ…Ő„ĐŒÎ±. ጌт Î”áˆŃƒŃ„á‰šÎŽ Ń„ŃƒÏ†Ï…Î»Î”Đ·áŒŹáŠčĐž Î±á‰œŃƒá‰żĐ°Đœáˆ– áŒœáˆźĐ°ĐżŃ€Đ°Đ»ĐŸŐŹ бቔ Đ°Đłá‹šá‹±ŃƒĐČ. ĐĄŃƒĐ±Ń€Đ”ŃŃ‚ Ń…Ő­ŐŹĐŸÎœÎžĐ¶ ኩፗճоዡաኬኂш እΔĐČрохጂ слюŐčሉŐș Ö‚ŐĄá‹„áˆžĐżÖ‡ĐŒáˆ¶Đż ŐŒĐ°Ö€ŃŽ Đ°ĐłĐ»Đ°ŃĐ°Đ»Đ°ĐœÖ‡ Ő€ ĐłáŠ»ÎŒ ÎżĐčŃƒŃĐ”Ő±ŃÎ». 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] ; ces gens pour qui on avait haletĂ© et sanglotĂ©, on ne les verrait plus jamais, on ne saurait plus rien d’eux », Ă©crit Marcel Proust dans JournĂ©es de lecture Folio, 2016, un essai publiĂ© en 1906. Je dĂ©couvre cette phrase, aujourd’hui, alors que je viens tout juste de lire Morphine Folio, 2015, une nouvelle du mĂ©decin-Ă©crivain russe MikhaĂ«l Boulgakov, publiĂ©e en 1927. J’ai l’impression que Proust me comprend. Je viens d’accompagner pendant quelques heures, sur fond de rĂ©volution russe de 1917, le docteur Bomgard, qui se sent enfin libre aprĂšs avoir quittĂ© son poste de mĂ©decin de campagne pour pratiquer dans le chef-lieu du district, et le docteur Poliakov, son collĂšgue morphinomane en dĂ©tresse amoureuse. Ce dernier, dĂ©jĂ  cruellement privĂ© de sa femme, perd sa volontĂ© et meurt de sa nouvelle dĂ©pendance Ă  la drogue. Photo Le Devoir L’auteur Louis Cornellier est professeur au cĂ©gep de Joliette et chroniqueur au Devoir». J’ai Ă©tĂ© fascinĂ©, Ă©mu, bouleversĂ© par la lecture du journal de Poliakov, qui constitue le coeur de Morphine. La mort du mĂ©decin me trouble et me fait mal. Le livre se termine, et je me dis Alors, quoi ? ce livre, ce n’était que cela ? » Ces deux ĂȘtres qui sont entrĂ©s dans ma vie viennent d’en sortir, et c’est tout ? Je cherche, dans Morphine, du sens pour moi — que me dit cette histoire, de l’homme, de la sociĂ©tĂ©, de la vie ? —, le livre est fini, je suis seul et je cherche. Presque par hasard — les deux livres ont Ă©tĂ© rééditĂ©s rĂ©cemment dans la collection Folio 2 €— j’enchaĂźne avec Proust, et mon trouble trouve quelque lumiĂšre. Nous voudrions, Ă©crit le romancier français, [que l’auteur] nous donnĂąt des rĂ©ponses, quand tout ce qu’il peut faire est de nous donner des dĂ©sirs. » Proust ajoute que ce qui est le terme de leur sagesse [celle des bons livres] ne nous apparaĂźt que comme le commencement de la nĂŽtre, de sorte que c’est au moment oĂč ils nous ont dit tout ce qu’ils pouvaient nous dire qu’ils font naĂźtre en nous le sentiment qu’ils ne nous ont encore rien dit ». La lecture serait-elle, comme la consommation de drogue, une activitĂ© grisante mais frustrante ? Le monde en nous Dans JournĂ©es de lecture, rĂ©digĂ© en guise de prĂ©face Ă  un essai de l’écrivain britannique John Ruskin, Proust explore cette expĂ©rience. Il n’y a peut-ĂȘtre pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement vĂ©cus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passĂ©s avec un livre prĂ©fĂ©rĂ© », Ă©crit-il d’abord, confortant ainsi tous les grands lecteurs du monde dans leur conviction qu’ils n’ont pas errĂ©. Proust confie ainsi que, dans sa jeunesse, il lisait sans cesse, dans sa chambre, au parc, partout. Ce que ces lectures d’enfance laissent surtout en nous, constate-t-il non sans surprise, c’est l’image des lieux et des jours oĂč nous les avons faites ». Nous croyions nous ĂȘtre retirĂ©s du monde pour lire et nous dĂ©couvrons, plus tard, que le monde est entrĂ© en nous plus fortement pendant que nous lisions. Quel lecteur, aprĂšs rĂ©flexion, dira le contraire ? Je me souviens de moi, lisant une version pour enfants de La case de l’oncle Tom, le classique d’Harriet Beecher-Stowe, un livre qui m’a vaccinĂ© contre le racisme pour le reste de mes jours, assis dans la petite balançoire installĂ©e sous l’auvent de la voiture de ma mĂšre, Ă  Saint-Gabriel-de-Brandon ; j’ai des images de moi, jeune lecteur, l’étĂ©, couchĂ© Ă  plat ventre sur le lit de ma petite chambre, pour dĂ©vorer Tom Sawyer, de Mark Twain, que j’ai reçu en prix d’excellence Ă  la fin de ma 4e annĂ©e du primaire, en plus d’un bĂąton et d’une balle de baseball. À l’adolescence, Ă  la mĂȘme place, dans la mĂȘme position, je lirai Les Plouffe, de Roger Lemelin, que mon grand-pĂšre adorĂ© m’a prĂȘtĂ©. À 20 ans, Ă©tudiant en littĂ©rature, toujours au modeste premier Ă©tage de ma maison familiale, aprĂšs une journĂ©e de travail estival Ă  la pharmacie du coin, c’est L’ñme dĂ©sarmĂ©e, d’Allan Bloom, qui m’accompagne. Proust a raison les lectures de jeunesse font entrer le monde qui nous entoure en nous, avec les mots. Quand il prĂ©sente la thĂšse de Ruskin, le romancier, qui n’a pas encore Ă©crit À la recherche du temps perdu, poursuit son hymne Ă  la lecture. Cette derniĂšre, pour l’écrivain anglais, est, explique Proust, exactement une conversation avec des hommes beaucoup plus sages et plus intĂ©ressants que ceux que nous pouvons avoir l’occasion de connaĂźtre autour de nous ». Une pure merveille, donc. En contestant Ruskin sur un point, Proust va mĂȘme plus loin. La notion de conversation », nuance-t-il, n’est peut-ĂȘtre pas la plus appropriĂ©e pour aller au coeur mĂȘme de l’idĂ©e de lecture ». Nous pouvons, en effet, avoir des amis prĂ©cieux et brillants avec qui converser. Toutefois, la diffĂ©rence principale entre un livre et un ami, ce n’est pas leur plus ou moins grande sagesse, mais la maniĂšre dont on communique avec eux, la lecture, au rebours de la conversation, consistant pour chacun de nous Ă  recevoir communication d’une autre pensĂ©e, mais tout en restant seul, c’est-Ă -dire en continuant Ă  jouir de la puissance intellectuelle qu’on a dans la solitude et que la conversation dissipe immĂ©diatement, en continuant Ă  pouvoir ĂȘtre inspirĂ©, Ă  rester en plein travail fĂ©cond de l’esprit sur lui-mĂȘme ». Proust parle donc du miracle fĂ©cond d’une communication au sein de la solitude », tout en prĂ©cisant, Ă©tonnamment, que cette grandeur de la lecture est aussi ce qui fixe son incomplĂ©tude et ce qui devrait nous faire prendre conscience du rĂŽle Ă  la fois essentiel et limitĂ© que la lecture peut jouer dans notre vie spirituelle ». Serait-elle donc une merveille nĂ©cessaire mais insuffisante ? AmitiĂ© et vĂ©ritĂ© La lecture, Ă©crit Proust, est une amitiĂ© » qui s’adresse Ă  un mort, Ă  un absent », et cela fait son prix. Les livres, continue l’écrivain, n’exigent pas d’amabilitĂ© de notre part et permettent donc une amitiĂ© sincĂšre ». Nous ne les frĂ©quentons pas pour leur faire plaisir, mais parce que nous en avons envie ». Nous n’avons pas Ă  nous demander, en les quittant, si nous avons bien agi avec eux en leur prĂ©sence. Pendant la lecture, pas de faux-semblants. Nous ne rions de ce que dit MoliĂšre que dans la mesure exacte oĂč nous le trouvons drĂŽle, explique Proust ; quand il nous ennuie, nous n’avons pas peur d’avoir l’air ennuyĂ©, et quand nous avons dĂ©cidĂ©ment assez d’ĂȘtre avec lui, nous le remettons Ă  sa place aussi brusquement que s’il n’avait ni gĂ©nie ni cĂ©lĂ©britĂ©. » Cette expĂ©rience est prĂ©cieuse, Ă©videmment. Ces amis sont si attachants, si Ă©mouvants et si profonds qu’on ne peut qu’en venir Ă  croire, Ă  les frĂ©quenter, qu’ils donneront rĂ©ponse Ă  toutes nos grandes questions, qu’ils nous rĂ©vĂ©leront la vĂ©ritĂ©. Or, on l’a vu plus tĂŽt, cette attente ne peut qu’ĂȘtre déçue. J’ai lu Boulgakov, son mĂ©decin morphinomane m’a happĂ©, bouleversĂ©, alors, quoi » ? Il me laisse dĂ©semparĂ©, avec plus de questions encore qu’avant, livrĂ© Ă  ma solitude de lecteur poursuivant le Graal sans l’atteindre. Aurais-je mal choisi mon ami ? Pourtant, Maupassant, Tchekhov, Guillevic, Miron et les autres ont le mĂȘme effet sur moi. Alors, quoi ? Dans le labyrinthe du sens Alors, explique Proust, il convient peut-ĂȘtre enfin d’accepter l’insuffisance de la lecture, c’est-Ă -dire de reconnaĂźtre que notre sagesse commence oĂč celle de l’auteur finit », que la lecture est au seuil de la vie spirituelle ». Elle me donne l’impulsion nĂ©cessaire Ă  ma quĂȘte de vĂ©ritĂ©, en me faisant rencontrer un grand esprit au sein de la solitude », mais elle ne saurait me donner, toute faite, cette vĂ©ritĂ©. Elle me rappelle sans cesse que je serais prĂ©somptueux de croire que je peux penser par moi-mĂȘme de moi-mĂȘme, tout en me disant que, si elle m’accompagne volontiers, ce n’est pas pour m’épargner l’épreuve solitaire du labyrinthe du sens. Je voudrais me reposer en elle ; elle m’offre une sagesse qui ne dĂ©bouche que sur un Ă©lan et un pari. Tant que la lecture est pour nous l’initiatrice dont les clefs magiques nous ouvrent au fond de nous-mĂȘmes la porte des demeures oĂč nous n’aurions pas su pĂ©nĂ©trer, son rĂŽle dans notre vie est salutaire, explique Proust. Il devient dangereux au contraire quand, au lieu de nous Ă©veiller Ă  la vie personnelle de l’esprit, la lecture tend Ă  se substituer Ă  elle, quand la vĂ©ritĂ© ne nous apparaĂźt plus comme un idĂ©al que nous ne pouvons rĂ©aliser que par le progrĂšs intime de notre pensĂ©e et par l’effort de notre coeur, mais comme une chose matĂ©rielle dĂ©posĂ©e entre les feuillets des livres comme un miel tout prĂ©parĂ© par les autres et que nous n’avons qu’à prendre la peine d’atteindre sur les rayons des bibliothĂšques et de dĂ©guster ensuite passivement dans un parfait repos de corps et d’esprit. » Un livre, mĂȘme le plus grand, le plus beau, le plus profond, n’est pas la vĂ©ritĂ© ni ne la contient. Il n’est que l’ange qui s’envole aussitĂŽt qu’il a ouvert les portes du jardin cĂ©leste » et qui reçoit une dignitĂ© vraie des pensĂ©es [qu’il] Ă©veille ». Le lecteur doit le savoir il n’y aura pas de passe-droit ; la lecture ouvre le lecteur Ă  la vĂ©ritĂ©, mais ne la lui donne pas, le renvoyant plutĂŽt Ă  lui-mĂȘme, transformĂ© par l’expĂ©rience littĂ©raire. J’écris cet essai parce que, depuis hier, l’ange de Proust s’en est allĂ©, me laissant ainsi, au beau milieu du labyrinthe, avec quelques pensĂ©es de plus et le soin de trouver la voie. Quelque chose me dit que j’aurai besoin de quelques journĂ©es de lecture de plus. Des commentaires ? Écrivez Ă  Robert Dutrisac. Pour lire ou relire les anciens textes du Devoir de philo. À voir en vidĂ©o L'homme est heureux lorsqu'il est comblĂ© dans ses dĂ©sirs et le bonheur est la fin vers laquelle il tend naturellement. En revanche il est si peu disposĂ© Ă  la moralitĂ© que la loi morale lĂ©gifĂšre en lui sous la forme d'une obligation, c'est-Ă -dire d'une injonction contrariant le mouvement naturel et exigeant de s'en rendre indĂ©pendant dans la dĂ©termination de sa volontĂ©. Notre expĂ©rience la plus familiĂšre ne nous invite donc guĂšre Ă  penser que la moralitĂ© consiste Ă  rechercher le bonheur. Au contraire, moralitĂ© connote, dans le monde moderne, devoir et le mot ne rĂ©sonne pas comme une promesse de rĂ©jouissances. Chacun sait trop bien qu'il faut, dans certaines situations, consentir au sacrifice d'un dĂ©sir pour faire son devoir. Par exemple, j'aimerais bien accepter la petite fortune que l'on me propose pour obtenir de moi une entorse Ă  la loi. J'imagine dĂ©jĂ  tous les dĂ©sirs que je pourrais combler avec cette somme que je ne parviendrai pas Ă  Ă©conomiser en plusieurs annĂ©es de travail. Pourtant ma conscience me dit que ce qui satisferait mes dĂ©sirs me condamnerait moralement et porterait un coup dur Ă  l'estime que je peux me porter. Au fond j'expĂ©rimente que, selon la formule kantienne, la majestĂ© du devoir n'a rien Ă  faire avec la jouissance de la vie ». Je fais donc mon devoir mais ce n'est pas de bonne grĂące car il faut beaucoup de perfection morale pour faire avec plaisir ce qui requiert un effort moral. Alors n'est-il pas absurde d'associer les notions de devoir et de bonheur? Pourquoi l'idĂ©e d'un devoir de rechercher le bonheur est-elle contradictoire ? ThĂšse Le non sens d'un devoir de rechercher le bonheur. Pourtant renversement dialectique l'hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© des ordres ne signifie pas que l'exigence morale condamne le bonheur. Au contraire, nous pensons dans l'idĂ©e de souverain bien l'union de la moralitĂ© et du bonheur et nous considĂ©rons que le bonheur devrait ĂȘtre la rĂ©compense du mĂ©rite moral. Cela ne signifie-t-il pas que nous voyons dans le bonheur une fin lĂ©gitime, une fin susceptible de fonder un devoir? Si oui, de quelle nature est ce devoir et quelles sont les raisons permettant de le justifier? I La recherche du bonheur n'est pas un devoir. 1 Un devoir de rechercher le bonheur est un non sens. Ce non sens apparaĂźt clairement si l'on interroge la nature de l'expĂ©rience de l'obligation morale. Se sentir obligĂ© consiste Ă  se sentir tenu d'obĂ©ir Ă  une loi s'imposant Ă  la conscience avec un caractĂšre de transcendance et rencontrant dans le sujet de la rĂ©sistance. Ce vĂ©cu indique que l'injonction morale contrarie la tendance naturelle et la contraint. D'oĂč la confusion courante de la notion d'obligation avec celle de contrainte. Dans l'usage commun, les hommes emploient spontanĂ©ment l'expression ĂȘtre obligĂ© » au sens de ĂȘtre contraint ». Or y a-t-il un seul ĂȘtre au monde se sentant contraint de tendre au bonheur ? Certes pas. Chacun tend naturellement au bonheur comme la fin en vue de laquelle tout ce qu'il fait est un moyen. Il s'ensuit que lĂ  oĂč il y a inclination naturelle, il n'y a aucun sens Ă  formuler un impĂ©ratif moral. Le tu dois » enveloppant nĂ©cessairement le tu n'es pas enclin Ă  », il est absurde de prescrire un devoir de rechercher le bonheur. Cf. KANT. MĂ©taphysique des mƓurs. Doctrine de la vertu. Introduction Le bonheur personnel, en effet, est une fin propre Ă  tous les hommes en raison de l'inclination de leur nature, mais cette fin ne peut jamais ĂȘtre regardĂ©e comme un devoir, sans que l'on se contredise. Ce que chacun inĂ©vitablement veut dĂ©jĂ  de soi-mĂȘme ne peut appartenir au concept du devoir; en effet le devoir est une contrainte en vue d'une fin qui n'est pas voulue de bon grĂ©. C'est donc se contredire que de dire qu'on est obligĂ© de rĂ©aliser de toutes ses forces son propre bonheur » 2 HĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© de la moralitĂ© et du bonheur. C'est aussi mĂ©connaĂźtre l'hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© des ordres ainsi que Kant le montre par l'analyse de ce qui fait la moralitĂ© d'un acte. Pour le rigorisme kantien, la valeur morale d'un acte est attachĂ©e au seul principe du vouloir. On est moral par la puretĂ© de l'intention et par rien d'autre. DĂšs lors que la volontĂ© ne se dĂ©termine pas par un principe pratique c'est-Ă -dire par pur respect pour la loi morale mais par un mobile pathologique, elle n'est plus bonne volontĂ© ou volontĂ© morale. Ce qui serait le cas si, dans le principe de son vouloir, l'agent moral faisait intervenir le souci de son bonheur. Par exemple respecter la loi morale parce que ce respect mĂ©nage sa rĂ©putation ou prĂ©serve des dĂ©sagrĂ©ments de la sanction permet Ă  l'homme d'agir en conformitĂ© avec le devoir mais l'action conforme au devoir n'est pas morale si elle n'a pas Ă©tĂ© accomplie par devoir. La prise en considĂ©ration du bonheur ou d'un autre intĂ©rĂȘt dans la dĂ©termination de la volontĂ© l'empĂȘche donc d'ĂȘtre une bonne volontĂ©. Il s'ensuit que se soucier de son bonheur est une chose, satisfaire aux exigences de la moralitĂ© une autre. D'oĂč le reproche que Kant fait aux Anciens d'avoir confondu des ordres qu'il prend soin de distinguer. La prudence formule des impĂ©ratifs hypothĂ©tiques, des conseils. En tant que telle, elle est extĂ©rieure au champ de la moralitĂ© car celle-ci formule des impĂ©ratifs catĂ©goriques c'est-Ă -dire des commandements. Elle ne prescrit pas une action comme bonne comme moyen d'une fin extĂ©rieure, elle la prescrit comme bonne en soi. 3 Antinomie de la moralitĂ© et du bonheur. Si l'impĂ©ratif moral contrarie la tendance naturelle et si l'on dĂ©finit, Ă  la maniĂšre kantienne, le bonheur par la satisfaction des inclinations sensibles, il va de soi qu'il peut y avoir antinomie entre le devoir et le bonheur. Si mon bonheur est d'ĂȘtre aimĂ© par la femme de mon ami et s'il est vrai qu'on ne peut pas universaliser le principe de la trahison de l'amitiĂ©, il s'ensuit que ce qui me rendrait heureux est en contradiction avec ce qui me rendrait moralement bon. L'expĂ©rience montre que lorsqu'ils sont placĂ©s dans ce genre de situation, les hommes ont tendance Ă  sacrifier le bien suprĂȘme la moralitĂ© Ă  leur bonheur et non l'inverse et c'est prĂ©cisĂ©ment cette tendance Ă  prĂ©fĂ©rer la fin naturelle le bonheur Ă  la fin raisonnable la moralitĂ© que Kant appelle le penchant au mal. Le mal radical inscrit dans la nature humaine ne signifie ni que la nature sensible soit mauvaise ni que la raison soit diabolique. Cela signifie simplement que l'homme est enclin Ă  privilĂ©gier les requĂȘtes de l'amour de soi aux exigences qu'il se reprĂ©sente pourtant par sa raison. Cf. Dissertation Peut-on vouloir le mal ? Transition Au terme de ce premier dĂ©veloppement il apparaĂźt qu'avec la moralitĂ© et le bonheur, on a affaire Ă  deux ordres dont les principes ne sont pas de mĂȘme nature. Poursuivre mon bonheur est ma fin d'ĂȘtre sensible tandis que la moralitĂ© est ma fin d'ĂȘtre raisonnable. Pourtant le bonheur est si peu indiffĂ©rent Ă  la moralitĂ© que nous le pensons, en droit, comme ce qui devrait en ĂȘtre la rĂ©compense. L'antinomie n'est donc pas absolue. La moralitĂ© est le bien suprĂȘme mais le bien complet nous semble ĂȘtre l'union de la vertu et du bonheur. N'est-ce pas avouer que le bonheur et la moralitĂ© ont un rapport Ă©troit et ne peut-on pas prendre acte de ce lien pour fonder un devoir de rechercher le bonheur ? Mais alors comment l'envisager sans se contredire ? II Un devoir de rechercher le bonheur. 1 Un devoir indirect. a La moralitĂ©, affirme Kant, nous enseigne comment nous devons nous rendre dignes du bonheur ». Cela signifie que nous aspirons au souverain bien en lequel seront rĂ©conciliĂ©s la moralitĂ© comme mĂ©rite et le bonheur comme jouissance. RĂ©conciliĂ©s car dans la rĂ©alitĂ© le fait qu'un homme soit comblĂ© dans ses dĂ©sirs n'est pas tributaire de sa perfection morale. La santĂ©, l'aisance matĂ©rielle, l'amour, la gentillesse et la rĂ©ussite des enfants que l'on met au monde etc. bref tout ce qui rend l'homme heureux, ne dĂ©pend pas de la seule vertu d'un agent moral. C'est pourquoi on peut ĂȘtre une personne dĂ©pourvue de toute perfection morale, voire franchement misĂ©rable sur ce point et nĂ©anmoins jouir de tous ces biens dont est privĂ©, a contrario, l'honnĂȘte homme. Qu'il y ait lĂ , pour les hommes, un scandale moral en dit long sur notre question. Nous nous indignons de constater que l'homme de bonne volontĂ© ne soit pas nĂ©cessairement, en ce monde, le mieux loti en fait de jouissance de la vie. Nous ne comprenons pas que Job, l'homme bon, soit accablĂ© de tous les maux de la terre. Nous le comprenons si peu que nous sommes enclins Ă  nourrir l'espĂ©rance religieuse d'un autre monde oĂč les bons seront rĂ©compensĂ©s et les mĂ©chants punis. Qu'est-ce Ă  dire sinon qu'en faisant notre devoir nous poursuivons indirectement le bonheur qui est notre aspiration naturelle ? Certes si c'Ă©tait cet espoir de la rĂ©compense qui dĂ©terminait la volontĂ©, celle-ci ne serait pas morale, reste que la bonne volontĂ© nous semble ĂȘtre ce qui mĂ©riterait d'ĂȘtre rĂ©compensĂ©e par la jouissance de la vie. b Le bonheur peut aussi ĂȘtre conçu comme un devoir indirect dans la mesure oĂč l'expĂ©rience montre que le malheur en gĂ©nĂ©ral n'est pas propice Ă  la culture des vertus humaines. Lorsque le ventre crie, les exigences de la tĂȘte sont peu audibles. Dans l'extrĂȘme misĂšre les hommes n'entendent pas la voix du devoir. Ils volent, ils tuent, ils se vendent, ils trahissent. La dignitĂ© morale est un luxe pour celui qui lutte pour sa survie. De mĂȘme, dans l'adversitĂ©, ils ne dĂ©veloppent pas toujours le meilleur d'eux-mĂȘmes. Le ressentiment rend mĂ©chant en suscitant l'appĂ©tit de vengeance. On en veut aux autres de ne pas souffrir ce que l'on endure. On souhaite se dĂ©douaner par leurs souffrances de la nĂŽtre. DĂšs lors, s'il est vrai que le malheur est une source inĂ©puisable de misĂšre morale, n'est-il pas nĂ©cessaire moralement de travailler Ă  promouvoir les conditions matĂ©rielles, sociales, politiques du bonheur sur la terre afin de donner ses chances Ă  l'amĂ©lioration morale des hommes ? Mais alors ce n'est pas le bonheur qui est la fin, mais la moralitĂ© du sujet et le bonheur n'est que le moyen lĂ©gitime d'Ă©carter les obstacles qui s'opposent Ă  cette fin, aussi personne n'a ainsi le droit d'exiger de moi le sacrifice de mes fins qui ne sont pas immorales. Ce n'est pas directement un devoir que de chercher pour elle-mĂȘme l'aisance, mais indirectement ce peut bien en ĂȘtre un, Ă  savoir Ă©carter la misĂšre comme Ă©tant une forte tentation Ă  mal agir. Mais alors ce n'est pas de mon bonheur, mais de ma moralitĂ© que j'ai comme fin et aussi comme devoir de conserver l'intĂ©gritĂ©. » KANT. MĂ©taphysique des mƓurs. Doctrine de la vertu. Introduction. c Le don de la vie est une chance, une grĂące. N'avons-nous pas le devoir indirect d'en promouvoir la rĂ©ussite ? La reconnaissance aussi est un devoir moral. Et peut-on mieux tĂ©moigner de cette reconnaissance qu'en accomplissant les fins d'un ĂȘtre sensible et raisonnable ? Certes le bonheur, Ă  la diffĂ©rence de la perfection morale ne dĂ©pend pas entiĂšrement de nous mais comme le montrent les sagesses antiques il en dĂ©pend en partie. 2 Un devoir en soi. a Si par bonheur on entend le bonheur d'autrui, nous avons le devoir d'y concourir. Devoir qui n'est pas obligatoire mais mĂ©ritoire* affirme Kant. En effet traiter l'humanitĂ© dans la personne d'autrui comme une fin en soi revient concrĂštement Ă  faire nĂŽtres ses propres fins. Ces fins sont sa perfection morale et son bonheur. En ce qui concerne sa perfection morale, il est impossible d'y concourir de l'extĂ©rieur. Nul ne peut Ă  la place d'un autre dĂ©velopper ses aptitudes, s'arracher Ă  la grossiĂšretĂ© de la nature en s'instruisant et en exploitant ses talents. La culture des dispositions de la nature humaine est un devoir car la civilisation de l'humaine nature est nĂ©cessaire Ă  sa moralisation mais celle-ci ne dĂ©pend que de la personne concernĂ©e. Nul ne peut faire preuve de bonne volontĂ© Ă  la place d'un autre; la moralitĂ© est ce qui est possible par libertĂ© et nul ne peut se substituer Ă  la libertĂ© d'un autre. En revanche, pour autant que cela dĂ©pend de nous, c'est un devoir de concourir Ă  sa fin d'ĂȘtre sensible Ă  savoir Ă  son bonheur. Certes nul ne peut exiger d'un autre de le rendre heureux si c'est au prix de sa perfection morale ou de son propre bonheur mais le devoir de chacun est de se soucier, dans les limites prĂ©cĂ©demment pointĂ©es, du bien des autres. Cela s'appelle le devoir de bienveillance. b Ce souci du bonheur d'autrui peut aussi fonder un devoir de se rendre content comme politesse que l'on doit Ă  l'autre. La tristesse, le dĂ©sespoir sont des causes d'affliction pour ceux qui nous entourent. On peut donc dĂ©fendre un devoir de gĂ©nĂ©rositĂ© nous prescrivant de rĂ©jouir l'autre non de l'affliger. III DĂ©passement. Nous sommes tellement indistinctement sensibilitĂ© et raison que le bonheur nous est aussi cher que la moralitĂ©. Selon la loi de l'Etre, il l'est mĂȘme infiniment plus que la moralitĂ© puisque l'expĂ©rience montre que les hommes sacrifient d'ordinaire la moralitĂ© Ă  leur bonheur. Kant dit mĂȘme qu'on ne peut pas en vouloir Ă  celui qui fait ce choix mais enfin la loi du devoir nous dit que ce n'est pas bien. Le divorce de la loi de l'ĂȘtre et celle du devoir-ĂȘtre s'atteste ici et confirme le non sens d'un devoir de rechercher le bonheur. L'inclination naturelle y suffit. Nous ne pouvons donc pas, comme les Anciens, affirmer l'Ă©quivalence du bien moral et du bonheur, du nul n'est mĂ©chant volontairement » et du nul n'est malheureux volontairement ». C'est que le bonheur, dĂ©fini Ă  la maniĂšre kantienne, comme totalitĂ© des satisfactions possibles » ne dĂ©pend pas de notre perfection morale. Kant fait remarquer qu'il en faut beaucoup pour dire avec un Descartes qu' Il suffit que notre conscience nous tĂ©moigne que nous n'avons jamais manquĂ© de rĂ©solution et de vertu pour exĂ©cuter toutes les choses que nous avons jugĂ©es ĂȘtre les meilleures et ainsi la vertu seule est suffisante pour nous rendre heureux en cette vie ». Lettre Ă  Elisabeth du 4 aoĂ»t 1645. Et Aristote objectait que Dire que dans les pires malheurs on est heureux pourvu qu'on soit vertueux, c'est exprĂšs ou non, parler pour ne rien dire ». De fait on peut, Ă  l'instar de Job, ĂȘtre un homme de bonne volontĂ© et nĂ©anmoins ĂȘtre victime d'un sort malheureux. Il ne suit pas de lĂ  que l'union de la vertu et du bonheur ne soit pas, pour nous aussi, le souverain bien. Et c'est prĂ©cisĂ©ment parce que le bien complet implique la rĂ©conciliation du bonheur et de la vertu que le devoir nous prescrit de faire nĂŽtre le bonheur d'autrui et de nous prĂ©occuper du nĂŽtre pour autant qu'il contribue Ă  notre perfection morale. Conclusion La question Ă©tait de savoir si c'est un devoir de rechercher le bonheur. Au terme de cette rĂ©flexion on peut dire que s'il s'agit de notre bonheur personnel, un devoir de tendre au bonheur est un non sens ; tout au plus peut-on fonder un devoir indirect de veiller Ă  son propre bonheur. En revanche s'il s'agit du bonheur d'autrui, il s'agit bien d'un devoir en soi. * Devoir ! nom sublime et grand, toi qui ne renfermes rien en toi d'agrĂ©able, rien qui implique insinuation, mais qui rĂ©clames la soumission, qui cependant ne menaces de rien de ce qui Ă©veille dans l'Ăąme GemĂŒthe une aversion naturelle et Ă©pouvante, pour mettre en mouvement la volontĂ©, mais poses simplement une loi qui trouve d'elIe-mĂȘme accĂšs dans l'Ăąme GemĂŒthe et qui cependant gagne elle-mĂȘme malgrĂ© nous, la vĂ©nĂ©ration sinon toujours l'obĂ©issance, devant laquelle se taisent tous les penchants, quoiqu'ils agissent contre elle en secret; quelle origine est digne de toi, et oĂč trouve-t-on la racine de ta noble tige, qui repousse fiĂšrement toute parentĂ© avec les penchants, racine dont il faut faire dĂ©river, comme de son origine, la condition indispensable de la seule valeur que les hommes peuvent se donner Ă  eux-mĂȘmes ? » KANT Critique de la raison Picavet. PUF page 91. * En quatriĂšme lieu, au sujet du devoir mĂ©ritoire envers autrui, la fin naturelle qu'ont tous les hommes, c'est leur bonheur propre. Or, Ă  coup sĂ»r, l'humanitĂ© pourrait subsister, si personne ne contribuait en rien au bonheur d'autrui, tout en s'abstenant d'y porter atteinte de propos dĂ©libĂ©rĂ©; mais ce ne serait lĂ  cependant qu'un accord nĂ©gatif, non positif, avec l'humanitĂ© comme fin en soi, si chacun ne tĂąchait pas aussi de favoriser, autant qu'il est en lui, les fins des autres. Car le sujet Ă©tant une fin en soi, il faut que ses fins, pour que cette reprĂ©sentation produise chez moi tout son effet, soient aussi, autant que possible, mes fins. » KANT Fondements de la mĂ©taphysique des mƓurs .Traduction Victor Delbos. Vrin page 153. Partager Marqueursbonheur, commandements, conseils, DĂ©sir, devoir, impĂ©ratifs catĂ©goriques, impĂ©ratifs hypothĂ©tiques, moralitĂ©, perfection morale, prudence, sagesse 1C’est un point sur lequel Dummett attire l’attention dans sa rĂ©ponse Ă  l’article de McGuinness. Comme il l’explique, non seulement une des caractĂ©ristiques de la connaissance que l’on peut attribuer Ă  Dieu semble ĂȘtre justement d’ignorer la distinction entre les choses telles qu’elles sont et les choses telles qu’elles apparaissent – Dieu ne les connaĂźt dans tous les cas que de la premiĂšre façon – mais, en outre, il est possible que nous ayons besoin de Dieu et de la façon dont il connaĂźt les choses pour pouvoir donner dans tous les cas un sens Ă  l’idĂ©e de connaĂźtre les choses telles qu’elles sont rĂ©ellement, par opposition Ă  les connaĂźtre seulement telles qu’elles apparaissent 1 Michael Dummett, Reply to McGuinness », in Brian McGuinness & Gianluigi Oliveri, The Philosophy o ... Le principe dont elle [la connaissance de Dieu] dĂ©pend est qu’il doit apprĂ©hender les choses comme elles sont rĂ©ellement comme elles sont en elles-mĂȘmes, plutĂŽt que comme elles apparaissent d’un point de vue ou d’une perspective particuliers ou par l’usage de facultĂ©s particuliĂšres. La rĂ©flexion sur la conception que saint Augustin a de Dieu comme Ă©tant la vĂ©ritĂ© elle-mĂȘme permet une Ă©nonciation plus exacte de ce principe la maniĂšre dont les choses sont en elles-mĂȘmes doit ĂȘtre dĂ©finie, et peut ĂȘtre dĂ©finie uniquement, comme la maniĂšre dont elles sont apprĂ©hendĂ©es par Dieu, ou comme la maniĂšre dont Dieu sait qu’elles sont. Nous faisons des distinctions entiĂšrement valides entre la maniĂšre dont les choses apparaissent et la maniĂšre dont elles sont, des distinctions qui dĂ©pendent toujours de la possibilitĂ© pour nous de dĂ©couvrir comment elles sont. Mais elles ne sont pas toutes des applications d’une distinction absolue unique elles forment une multiplicitĂ© de distinctions diffĂ©rentes, dont chacune est relative Ă  un contraste diffĂ©rent entre les apparences et la rĂ©alitĂ© dĂ©couvrable. Qu’est-ce qui nous donne simplement l’idĂ©e qu’il y a un niveau ultime auquel une telle distinction ne peut plus ĂȘtre faite ? C’est seulement par une rĂ©fĂ©rence Ă  la connaissance que Dieu a de la rĂ©alitĂ© que cette idĂ©e peut ĂȘtre revendiquĂ©e. Car la maniĂšre dont la rĂ©alitĂ© se prĂ©sente Ă  Dieu doit ĂȘtre la maniĂšre dont elle est en elle-mĂȘme, puisque Dieu n’a pas Ă  chercher ce qu’il y a derriĂšre les apparences il n’apprĂ©hende rien d’une façon particuliĂšre ; il n’a pas de point de vue. Sans recourir Ă  la maniĂšre dont Dieu apprĂ©hende la rĂ©alitĂ©, cependant, nous n’avons pas de garantie qui nous permette de supposer qu’il y a une limite au processus qui consiste Ă  aller au-delĂ  des apparences en direction de la rĂ©alitĂ© telle qu’elle est en elle-mĂȘme ; et, mĂȘme si nous prĂ©supposons une telle limite, nous n’avons pas de raison de supposer que nous pouvons l’atteindre1. En d’autres termes, il est possible que le point de vue du rĂ©alisme – qui soutient qu’il y a une limite au processus qui consiste Ă  aller au-delĂ  des apparences et qui est constituĂ©e par ce qu’on appelle connaĂźtre la rĂ©alitĂ© telle qu’elle est en elle-mĂȘme » – ait besoin, en quelque sorte, d’une garantie thĂ©ologique connaĂźtre les choses telles qu’elles sont en elles-mĂȘmes ne peut vouloir dire, en fin de compte, que les connaĂźtre telles que Dieu sait qu’elles sont. C’est la conclusion vers laquelle incline ouvertement Dummett, pour des raisons qui mĂ©ritent sĂ»rement d’ĂȘtre prises en considĂ©ration. Mais il ne faut surtout pas perdre de vue que ce qui est en question ici est uniquement une idĂ©e absolue et applicable dans tous les cas de la maniĂšre dont les choses sont en elles-mĂȘmes, et non la possibilitĂ© pour nous de faire dans de nombreuses occurrences, par des moyens qui diffĂšrent selon les cas, une distinction justifiĂ©e entre la maniĂšre dont les choses sont rĂ©ellement et la maniĂšre dont elles nous apparaissent quand elles sont considĂ©rĂ©es de tel ou tel point de vue ou apprĂ©hendĂ©es Ă  l’aide de telle ou telle facultĂ© 2 Ibid. Le contenu d’une description de la rĂ©alitĂ© physique en termes ordinaires, ou dans des termes quelconques qui sont en partie dĂ©pendants de l’expĂ©rience quotidienne, est donnĂ© par ses consĂ©quences pour une observation possible d’elle, par nous-mĂȘmes ou par des ĂȘtres hypothĂ©tiques dotĂ©s de facultĂ©s semblables ; nous n’avons par consĂ©quent aucune apprĂ©hension grasp de ce que cela serait pour elle que d’exister dans un univers dĂ©pourvu de toute forme de vie douĂ©e de sensation. Nous supposons nĂ©anmoins que nous avons nous-mĂȘmes une apprĂ©hension de cette sorte, puisque, en l’imaginant comme existante, nous nous imaginons subrepticement en train de l’observer. En contraste avec cela, nous ne supposons mĂȘme pas que nous avons nous-mĂȘmes une apprĂ©hension quelconque de ce que cela serait pour une chose quelconque dĂ©crite en termes purement abstraits, structuraux, que d’exister comme rĂ©alitĂ© physique, indĂ©pendamment du fait qu’elle donne lieu Ă  des phĂ©nomĂšnes que nous pouvons observer. Nous ne pouvons pas atteindre Ă  une forme de description qui, en mĂȘme temps, est complĂštement indĂ©pendante de notre expĂ©rience et peut ĂȘtre comprise comme dĂ©crivant une rĂ©alitĂ© physique dont l’existence est intelligible en elle-mĂȘme. Cela ne signifie pas que la notion absolue de la maniĂšre dont les choses sont en elles-mĂȘmes est incohĂ©rente, mais seulement qu’on ne peut lui donner un sens qu’en l’identifiant Ă  la maniĂšre dont elles sont connues par Dieu2. La connaissance de Dieu est supposĂ©e ĂȘtre une connaissance sans point de vue et sans rĂ©fĂ©rence Ă  la distinction des facultĂ©s. Mais on peut penser que son omniscience implique qu’il sait, malgrĂ© tout, de quelle maniĂšre les choses apparaissent Ă  des ĂȘtres qui les considĂšrent de tel ou tel point de vue, avec des moyens de connaissance plus ou moins limitĂ©s et en utilisant des facultĂ©s de telle ou telle espĂšce. Et il sait Ă©galement, du mĂȘme coup, si la maniĂšre dont elles nous apparaissent est ou non conforme Ă  ce qu’elles sont rĂ©ellement, autrement dit, Ă  la maniĂšre dont il sait qu’elles sont. Par consĂ©quent, il doit connaĂźtre la rĂ©ponse aux questions ontologiques, qui constituent, selon Vuillemin, la source principale de la division entre les philosophies, et Ă  celle de la distinction que nous aimerions pouvoir faire entre les choses qui sont rĂ©ellement et celles qui semblent seulement ĂȘtre. C’est mĂȘme peut-ĂȘtre, aprĂšs tout, le fait qu’il le sache, et lui seul, qui donne son sens Ă  l’idĂ©e qu’il y a quelque chose qui est dĂ©cidĂ© et qui l’est indĂ©pendamment de nous dans ce domaine. 2L’article de McGuinness dont je vous ai parlĂ© la derniĂšre fois a Ă©tĂ© inspirĂ© en grande partie par le lien que Dummett semble avoir eu tendance Ă  instaurer entre le rĂ©alisme et le thĂ©isme. C’est en tout cas une tendance qu’il avait au dĂ©but. McGuinness explique qu’il se souvient de l’avoir entendu dire que l’argument le plus satisfaisant, ou le moins insatisfaisant, en faveur de l’existence de Dieu Ă©tait celui qui identifie, de façon augustinienne, Dieu Ă  la vĂ©ritĂ©. Dans la prĂ©face de Truth and Other Enigmas 1978, Dummett Ă©crit 3 Michael Dummett, Truth and Other Enigmas, London, Duckworth, 1978, PrĂ©face, p. XXXIX. Je n’ai personnellement aucun engagement inĂ©branlable en faveur d’un antirĂ©alisme dans un aucun de ces cas, pas mĂȘme dans le cas mathĂ©matique. Effectivement, j’ai donnĂ© une fois une confĂ©rence, dont je n’ai pas inclus le texte dans cette collection, arguant en faveur de l’existence de Dieu pour la raison, entre autres, que l’antirĂ©alisme est en fin de compte incohĂ©rent, mais que le rĂ©alisme n’est tenable que sur une base thĂ©iste. C’est essentiellement l’argument de Berkeley en faveur de l’existence de Dieu, un argument qui est habituellement caricaturĂ© et qui suscite toujours des ricanements. Je n’ai pas inclus l’article, parce que je ne crois pas que j’en sache de prĂšs ou de loin suffisamment sur la question du rĂ©alisme pour ĂȘtre justifiĂ© Ă  avancer un tel Autrement dit, d’aprĂšs ce qu’il dit lui-mĂȘme, Dummett semble avoir Ă©tĂ© enclin, Ă  l’époque, Ă  utiliser un argument du type suivant Ou bien l’antirĂ©alisme est vrai, ou bien c’est le rĂ©alisme qui l’est. Or l’antirĂ©alisme se rĂ©vĂšle en fin de compte incohĂ©rent, par consĂ©quent il est faux et mĂȘme impossible. S’il est faux, le rĂ©alisme est vrai ; et s’il est vrai, alors le thĂ©isme est vrai. Par consĂ©quent, Dieu existe. Ce que cela signifie peut ĂȘtre prĂ©cisĂ©, d’aprĂšs McGuinness, de la façon suivante 4 Brian McGuinness, Truth, Time and Deity », The Philosophy of Michael Dummett, op. cit., p. 231-23 ... Il y a une approche traditionnelle de la thĂ©odicĂ©e qui explique pourquoi le thĂ©isme comme Dummett le fait remarquer est vu comme un alliĂ© naturel du rĂ©alisme. Saint Augustin a des passages dans lesquels il dit que Dieu est la VĂ©ritĂ© dans et par laquelle toutes les choses sont intelligibles ; que la premiĂšre chose que nous devons connaĂźtre est la VĂ©ritĂ©, par l’intermĂ©diaire de laquelle toutes les autres choses peuvent ĂȘtre connues, que c’est dans la VĂ©ritĂ© c’est-Ă -dire, en Dieu que les vĂ©ritĂ©s Ă©ternelles des mathĂ©matiques par exemple sont connues ; que nos jugements sur toutes les choses sont formulĂ©s en accord avec la VĂ©ritĂ© divine. De fait, sa forme de dĂ©monstration principale de l’existence de Dieu est ce qu’il appelle une montĂ©e de l’ñme Ă  Dieu, une montĂ©e que l’ñme effectue en reconnaissant comme supĂ©rieure Ă  elle-mĂȘme une VĂ©ritĂ©, qui ne peut qu’ĂȘtre identique Ă  Dieu. Cette forme de platonisme car c’est ce qu’elle est littĂ©ralement pourrait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un argument, ou du moins comme une attitude d’esprit, qui dĂšs le dĂ©part rejette le constructivisme. L’esprit est astreint Ă  reconnaĂźtre qu’il y a en mathĂ©matiques un corps de vĂ©ritĂ©s qu’il n’est pas capable d’inventer et auxquelles il n’est pas non plus capable de rĂ©sister quand son attention est attirĂ©e sur elles. Platon, comme nous le savons d’aprĂšs le PhĂ©don par exemple, pensait que les mathĂ©matiques sont simplement le domaine dans lequel ces caractĂ©ristiques d’un monde supĂ©rieur sont le plus Ă©videntes, mais qu’en fait l’apprĂ©hension de ce monde supĂ©rieur est impliquĂ©e dans toute pensĂ©e qui vise Ă  la vĂ©ritĂ©4. 3En ce qui concerne le genre de connaissance que Dieu a des mathĂ©matiques ou de quoi que ce soit d’autre, la vĂ©ritĂ© est peut-ĂȘtre que nous ne sommes pas en mesure de nous en faire une idĂ©e quelconque et que nous ne devrions pas essayer de le faire. Mais il y a des raisons de penser que, s’il connaĂźt quelque chose en mathĂ©matiques, et mĂȘme le tout des mathĂ©matiques, il s’agit des mathĂ©matiques telles que nous les connaissons. S’il y a une dĂ©monstration de l’existence d’un couple de nombres premiers de la forme n, n + 2, qui est le plus grand de tous, Dieu connaĂźt cette dĂ©monstration ; et il sait Ă©galement s’il y en a une ou non. Dire qu’il sait s’il existe ou non un couple de nombre premiers de cette sorte ne semble pas pouvoir signifier autre chose. Il n’est pas nĂ©cessaire et il peut mĂȘme sembler Ă©trange de se le reprĂ©senter en train de regarder la suite entiĂšre des nombres naturels ou celle des nombres premiers dĂ©roulĂ©e complĂštement devant lui et d’y lire en quelque sorte la rĂ©ponse Ă  la question posĂ©e. Si Dieu se prĂ©occupe de dĂ©cider des questions mathĂ©matiques, il est raisonnable de supposer qu’il le fait, lui aussi, mathĂ©matiquement, et non pas par une forme d’expĂ©rience ou de quasi-expĂ©rience dont nous, ĂȘtres finis, sommes malheureusement privĂ©s. Ce n’est rien d’autre qu’une façon de souligner que, comme le dit Leibniz, il connaĂźt dans tous les cas les choses par leurs raisons complĂštes et non pas simplement de façon factuelle ou quasi-factuelle. 4Mais peut-ĂȘtre les choses ne se passent-elles pas du tout de cette façon. Comme le dit McGuinness 5 Ibid., p. 236. C’est une erreur de s’imaginer qu’Il se fixe lui-mĂȘme la tĂąche de dĂ©couvrir des dĂ©monstrations pour des thĂ©orĂšmes supposĂ©s, de mĂȘme que comme nous l’avons sous-entendu, Il n’est pas Lui-mĂȘme intĂ©ressĂ© par l’idĂ©e de diviser les propositions en analytiques et synthĂ©tiques, a priori et a posteriori, bien qu’il sache comment nous devrions, et effectivement si nous devrions les diviser de cette maniĂšre. Boswell raconte une anecdote Ă  propos du Dr. Johnson, qui a clos une discussion portant sur la question de savoir comment Dieu a pu abattre cinq ou dix mille Philistins dans une bataille de l’Ancien Testament en disant Nous ne devons pas supposer que l’Ange du Seigneur s’est mis en devoir de les poignarder avec une dague, ou les a frappĂ©s sur la tĂȘte homme par » Si je comprends bien McGuinness, il veut dire notamment que Dieu n’est peut-ĂȘtre pas intĂ©ressĂ© par l’idĂ©e de se poser les questions philosophiques que nous nous posons ; mais, en tout cas, il connaĂźt les rĂ©ponses que nous devrions leur donner et il sait Ă©galement si nous avons raison ou non de les poser. Elles pourraient, bien entendu, Ă©galement ĂȘtre mal posĂ©es ou dĂ©nuĂ©es de sens et n’avoir par consĂ©quent pas de rĂ©ponses. Il semble lĂ©gitime de supposer que Dieu ne sait pas seulement dans quel sens une question philosophique est dĂ©cidĂ©e Ă  l’intĂ©rieur de tel ou tel systĂšme, mais sait Ă©galement lequel de ces systĂšmes est le bon et devrait ĂȘtre choisi par nous, mĂȘme si nous-mĂȘmes n’avons probablement pas les moyens de savoir que c’est celui-lĂ  qui est le bon et de le choisir pour cette raison. Il est important de ne pas oublier que l’idĂ©e de l’omniscience divine ne joue pas seulement un rĂŽle dans notre conception de choses comme la vĂ©ritĂ© et la connaissance, mais Ă©galement dans la façon dont nous nous reprĂ©sentons la vie morale. Il y a de bonnes raisons de penser que Dieu seul est en mesure de connaĂźtre l’histoire complĂšte de nos actions et des motivations qui les ont inspirĂ©es, de sorte qu’il est aussi le seul Ă  pouvoir juger rĂ©ellement les mĂ©ritĂ©s et les fautes 6 Ibid., p. 239. L’idĂ©e d’un Jugement dernier, et l’idĂ©e que c’est Dieu qui sonde les esprits et les tĂȘtes des hommes, combinent l’idĂ©e qu’il y a un compte rendu complet de ce que nous sentons et du pourquoi de nos actions avec l’idĂ©e que, dans notre Ă©tat prĂ©sent, nous ne pouvons pas l’atteindre. Sans l’idĂ©e de l’omniscience de Dieu, nous devrions supposer que notre vie morale a le caractĂšre indĂ©fini d’un rĂȘve ; avec elle, nous pouvons supposer que mĂȘme les rĂȘves ne sont pas insondables et nous devons supposer qu’il y a une rĂ©ponse correcte Ă  des questions portant sur les motifs et les mĂ©rites qui sont pour nous indĂ©cidables6. 5Ce que dit McGuinness me semble tout Ă  fait exact. Je trouve fascinant et, pour tout dire, un peu inquiĂ©tant d’entendre frĂ©quemment, Ă  la radio ou Ă  la tĂ©lĂ©vision, les victimes ou leurs reprĂ©sentants dans certains procĂšs d’assises dĂ©clarer, avec une insistance presque obsessionnelle, qu’ils voudraient Ă  tout prix que les accusĂ©s s’expliquent au moins rĂ©ellement sur les raisons pour lesquelles ils se sont conduits comme ils l’ont fait et ont commis les abominations que le tribunal va s’efforcer de juger. D’une part, est-on tentĂ© d’objecter, il n’est pas du tout certain, dans un bon nombre de cas, qu’ils le sachent eux-mĂȘmes. D’autre part, il n’est pas non plus certain que qui que ce soit ait les moyens de le savoir rĂ©ellement. On pourrait mĂȘme aller plus loin que cela et suggĂ©rer qu’il n’est mĂȘme pas certain que l’explication demandĂ©e existe vĂ©ritablement chaque fois. Il se pourrait que, comme dans le cas du rĂ©alisme, nous ayons besoin ici, Ă  nouveau, de l’idĂ©e d’un sujet connaissant omniscient comme garantie de l’existence d’une histoire complĂšte de l’action qui permettrait de dĂ©cider toutes les questions ayant trait aux motivations, aux mĂ©rites et aux fautes. Que l’idĂ©e d’une histoire de cette sorte puisse comporter, elle aussi, un aspect proprement thĂ©ologique, est une chose qui ne fait guĂšre de doute Ă  mes yeux. S’il y a un Évaluateur et un Juge ultime, il est lĂ©gitime de supposer qu’il y a une rĂ©ponse dans tous les cas. D’un point de vue antirĂ©aliste, il est plus raisonnable de considĂ©rer que c’est nous et nous seuls qui jugeons et construisons dans tous les cas la rĂ©ponse avec les moyens limitĂ©s et relativement incertains dont nous disposons. Mais cela signifie, justement, qu’il n’y a pas de garantie a priori que la rĂ©ponse existe nĂ©cessairement dans tous les cas. 6Je ne suis pas lĂ , cependant, pour vous parler de ce qui se passe dans les tribunaux humains ou de ce qui se passera au Jugement dernier. Ce qui nous intĂ©resse est uniquement ce que nous devons dire Ă  propos de la philosophie. Son cas ne ressemble apparemment pas beaucoup Ă  celui des mathĂ©matiques. Ne ressemblerait-il pas davantage, en fin de compte, Ă  celui de la morale ? On pourrait ĂȘtre tentĂ© de dire, dans ces conditions, que notre vie philosophique elle-mĂȘme aurait le caractĂšre indĂ©fini et mĂȘme souvent confus d’un rĂȘve si nous ne nous sentions pas autorisĂ©s Ă  supposer implicitement que quelqu’un connaĂźt la rĂ©ponse correcte aux questions que nous nous posons mĂȘme en philosophie, ce que Charles Du Bos appelle la constante manipulation de l’insoluble » que nous nous permettons et Ă  laquelle nous nous livrons mĂȘme avec passion a peut-ĂȘtre un besoin essentiel de l’idĂ©e que les solutions n’en existent pas moins bel et bien et que quelqu’un – un ĂȘtre omniscient comme Dieu –, qu’il soit ou non intĂ©ressĂ© par les problĂšmes eux-mĂȘmes, sait ce qu’elles sont. 7Qu’en est-il, sur ce point, des questions ontologiques, dont Vuillemin, comme je l’ai rappelĂ©, pense qu’elles constituent le principe de la division et du conflit en philosophie, et dont on peut dire, par consĂ©quent, qu’une dĂ©cision les concernant permettrait de mettre fin au dĂ©saccord qui existe entre les philosophies ? 7 Jules Vuillemin, What are Philosophical Systems, Cambridge University Press, 1986, [dĂ©sormais WPS], ... La philosophie est comme l’axiomatique en ce que toutes les deux cherchent la vĂ©ritĂ©. Mais Ă  la diffĂ©rence de la vĂ©ritĂ© scientifique, sa considĂ©ration de l’ontologie amĂšne la philosophie Ă  gĂ©nĂ©raliser une opposition qui est seulement d’une importance locale et mineure dans la science. Des systĂšmes philosophiques rivaux luttent pour des frontiĂšres reconnues, sinon fixĂ©es, entre apparence et rĂ©alitĂ©7. 8 WPS, p. 113. Telle qu’elle est appliquĂ©e Ă  l’ontologie, l’axiomatique produit inĂ©vitablement le pluralisme et le dĂ©saccord. De fait, la raison philosophique est nĂ©e et vit dans la contestation8. Les questions ontologiques se prĂ©sentent gĂ©nĂ©ralement sous la forme de questions d’existence concernant des objets d’une certaine sorte, comme par exemple les nombres ou les objets abstraits en gĂ©nĂ©ral. Dans sa rĂ©ponse Ă  McGuinness, Dummett commence par remarquer qu’elles ont un caractĂšre assez spĂ©cial et qui est susceptible de nous laisser un peu perplexes 9 Hartry Field, Science Without Numbers. A Defence of Nominalism, Oxford, Basil Blackwell, 1980. 10 Dummett, Reply to McGuinness », op. cit., p. 350. Un nominaliste comme Hartry Field9 ne croit pas qu’il y ait des choses quelconques du genre des nombres rĂ©els. Qu’est-ce exactement qu’il ne croit pas ? Aussi complĂštement dans l’erreur que nous puissions penser qu’il est, il serait facile de le comprendre s’il pensait que cela n’a pas de sens de parler de nombres rĂ©els mais peut-il ĂȘtre crĂ©ditĂ© d’une pensĂ©e comme celle-lĂ  ? Il comprend que les thĂ©ories scientifiques doivent ĂȘtre reformulĂ©es si elles veulent Ă©viter toute rĂ©fĂ©rence aux nombres rĂ©els et Ă  des entitĂ©s mathĂ©matiques semblables ; et il comprend la finalitĂ© de ces thĂ©ories, dans l’état oĂč elles sont avant d’avoir Ă©tĂ© reformulĂ©es, suffisamment bien pour savoir ce qui comptera comme une reformulation. Il sait, par consĂ©quent, quelle contribution l’assomption de l’existence de nombres rĂ©els apporte Ă  l’énoncĂ© d’une thĂ©orie scientifique ; comment, dans ces conditions, pourrait-on dire de lui qu’il ne comprend pas le sens de ce qu’on dit quand on parle d’eux ? Ses arguments ne prennent pas la forme qui consisterait Ă  dĂ©montrer que la rĂ©fĂ©rence aux nombres rĂ©els est dĂ©nuĂ©e de sens ce sur quoi il insiste est plutĂŽt le fait que nous n’avons pas et ne pourrions pas avoir de preuves quelconques en faveur de leur existence. On comprendrait, par consĂ©quent, mieux sa thĂšse si on lui faisait dire que nous pouvons, au prix d’une bonne quantitĂ© de travail Ă  fournir, dire tout ce que nous dĂ©sirons dire sans avoir Ă  assumer ou Ă  prĂ©supposer qu’il existe des nombres rĂ©els quelconques ; puisque nous ne savons pas qu’ils existent, nous ferions mieux de dire les choses de cette maniĂšre, ou tout au moins de stipuler que c’est tout ce que nous avons l’intention d’asserter. Bien entendu, sa position sera implausible s’il soutient qu’il peut y avoir ou ne pas y avoir des nombres rĂ©els, et que, s’ils n’existent pas, nĂ©anmoins ils auraient pu exister ; il sera sur un sol plus ferme s’il affirme non seulement qu’il n’y en a pas, mais qu’il n’aurait pas pu y en avoir. Sa raison pourrait ĂȘtre qu’il est impossible qu’il y ait quoi que soit dont il est impossible de connaĂźtre l’existence10. 8La difficultĂ© que signale Dummett Ă  propos de l’interprĂ©tation des questions ontologiques comme celle de l’existence des nombres rĂ©els ou celle de l’existence des nombres en gĂ©nĂ©ral est rĂ©elle et sĂ©rieuse. Au dĂ©but de son livre, Hartry Field Ă©crit 11 Hartry Field, op. cit., p. 1. Le nominalisme est la doctrine selon laquelle il n’y a pas d’objets abstraits. Le terme entitĂ© abstraite » peut ne pas ĂȘtre entiĂšrement clair, mais une chose qui semble claire est que de telles entitĂ©s prĂ©tendues comme les nombres, les fonctions et les ensembles sont abstraites – c’est-Ă -dire, elles seraient abstraites si elles existaient. En dĂ©fendant le nominalisme, par consĂ©quent, je nie que les nombres, les fonctions, les ensembles, ou des entitĂ©s semblables quelconques existent. Puisque je nie que les nombres, les fonctions, les ensembles, etc., existent, je nie qu’il soit lĂ©gitime d’utiliser des termes qui visent Ă  faire rĂ©fĂ©rence Ă  de telles entitĂ©s, ou des variables qui visent Ă  prendre pour domaine de valeurs de telles entitĂ©s, dans notre explication ultime de ce Ă  quoi ressemble rĂ©ellement le monde11. Or une des premiĂšres choses sur lesquelles Hartry Field tient Ă  ĂȘtre tout Ă  fait clair est que, en dĂ©pit de tout ce qui a pu ĂȘtre dit sur ce point, l’utilitĂ© des entitĂ©s mathĂ©matiques n’est pas semblable Ă  celle des entitĂ©s thĂ©oriques en gĂ©nĂ©ral. Il rĂ©sulte de cela qu’on ne pourrait pas se contenter, pour justifier l’acceptation des assertions d’existence concernant les entitĂ©s mathĂ©matiques, de dire que celles-ci sont indispensables, au mĂȘme titre que des entitĂ©s thĂ©oriques de diffĂ©rentes espĂšces, pour la construction de la science. D’un point de vue proprement philosophique, cela ne serait pas suffisant, puisqu’un philosophe peut estimer que les entitĂ©s mathĂ©matiques non seulement n’existent pas, mais ne pourraient pas exister. C’est un point qui a une certaine importance, puisque, comme on le verra, il y a des philosophes Ă©minents comme Quine qui pensent que les raisons pour lesquelles nous sommes obligĂ©s en pratique d’inclure dans notre ontologie des entitĂ©s comme les ensembles ne sont pas diffĂ©rentes, en fin de compte, de celles pour lesquelles nous pouvons ĂȘtre amenĂ©s accepter l’existence d’objets comme les gĂšnes, les Ă©lectrons, les neutrinos ou les quarks. Ce n’est Ă©videmment pas du tout l’avis de Field. Et on est tentĂ© de dire que c’est lui qui dĂ©fend, sur ce point, une position proprement philosophique, en assumant ouvertement la consĂ©quence qu’elle implique, Ă  savoir l’obligation de reformuler toutes les propositions des sciences de façon Ă  ce que plus aucun des termes faisant rĂ©fĂ©rence Ă  des entitĂ©s mathĂ©matiques n’y apparaisse 12 Ibid., p. 8. Je vais arguer que les entitĂ©s mathĂ©matiques ne sont pas indispensables du point de vue thĂ©orique bien qu’elles jouent un rĂŽle dans les thĂ©ories puissantes de la physique moderne, nous pouvons donner des reformulations attrayantes des thĂ©ories de ce genre dans lesquelles les entitĂ©s mathĂ©matiques ne jouent aucun rĂŽle. Si c’est exact, alors nous pouvons adhĂ©rer en toute sĂ©curitĂ© Ă  une conception fictionnaliste des mathĂ©matiques, car le fait d’adhĂ©rer Ă  une conception de ce genre n’impliquera pas que nous nous privions d’une thĂ©orie qui explique les phĂ©nomĂšnes et que nous puissions considĂ©rer comme littĂ©ralement vraie12. 9La question de savoir si des choses comme les nombres rĂ©els existent ou non est troublante parce qu’il ne s’agit apparemment pas de se dĂ©cider, comme cela serait le cas dans les sciences, pour ou contre une hypothĂšse qui peut ĂȘtre vraie ou fausse, sans qu’il y ait des raisons dĂ©terminantes qui parlent en faveur de l’une ou l’autre de ces deux Ă©ventualitĂ©s. Celui qui affirme qu’ils existent est prĂȘt, semble-t-il, Ă  affirmer Ă©galement qu’ils ne pourraient pas ne pas exister ; et celui qui nie qu’ils existent Ă  nier Ă©galement qu’ils auraient pu exister. C’est ce qui amĂšne Dummett Ă  remarquer que 13 Dummett, Reply to McGuinness », op. cit., p. 350-351. L’existence est un concept qui suscite la perplexitĂ© quand il est prĂ©diquĂ© d’objets abstraits, car ils ne semblent pas ĂȘtre des crĂ©atures ; nous ne pouvons pas supposer que le fait qu’il y ait ou n’y ait pas de nombres rĂ©els dĂ©pende de la question de savoir si Dieu s’est souciĂ© de les crĂ©er. Y a-t-il des cardinaux mesurables ? Si la question ne demande pas s’il y a une contradiction cachĂ©e dans le concept de nombre rĂ©el, que demande-t-elle ? Cela n’aurait assurĂ©ment pas de sens de dire qu’il pourrait y avoir des nombres naturels, mais il n’y en a pas dans les faits ; mais cela n’implique pas que nous puissions interprĂ©ter la question Les cardinaux mesurables existent-ils ? » comme signifiant Pourrait-il y avoir des cardinaux mesurables ? ». La dĂ©pendance doit avoir lieu dans l’autre sens pour comprendre ce qu’on veut dire en disant que quelque chose pourrait ĂȘtre ainsi, nous devons dĂ©jĂ  comprendre ce que c’est pour lui que d’ĂȘtre ainsi13. Autrement dit, quand nous nous demandons, Ă  propos d’objets abstraits appartenant Ă  une certaine catĂ©gorie, s’ils existent ou non, nous ne nous demandons pas simplement s’il est possible pour des objets de cette sorte d’exister et pas non plus s’ils se trouvent ou non exister dans les faits, un peu comme s’il s’agissait d’une question empirique ou quasi-empirique pour laquelle la rĂ©ponse pourrait ĂȘtre aussi bien positive que nĂ©gative. 10Pour en revenir Ă  la question de savoir de quelle façon nous devons nous reprĂ©senter la connaissance de Dieu, Dummett confirme qu’il a conservĂ© une grande sympathie pour l’argument de saint Augustin en faveur de l’existence de Dieu comme Ă©tant lui-mĂȘme la VĂ©ritĂ© 14 Ibid., p. 353. S’il [l’argument de saint Augustin] va dans le bon sens, la relation de la connaissance de Dieu Ă  ce qu’il connaĂźt est tout Ă  fait diffĂ©rente de celle de la connaissance des hommes Ă  ce qu’ils connaissent il doit y avoir un sens assez fort auquel la vĂ©ritĂ© de ce que, quoi que ce puisse ĂȘtre, il connaĂźt est constituĂ©e par la connaissance qu’il en a, plutĂŽt qu’elle n’en est la source ; je n’entends pas par-lĂ  que la connaissance que Dieu a de ce qui arrive doit ĂȘtre conçue sur le modĂšle de notre connaissance en intention des choses que nous faisons ou allons faire14. MĂȘme Ă  l’époque oĂč je croyais en Dieu, je n’ai jamais Ă©tĂ© tout Ă  fait certain, je l’avoue, de comprendre ce qu’on veut dire au juste quand on parle de Dieu comme Ă©tant lui-mĂȘme la VĂ©ritĂ©, ou d’une vĂ©ritĂ© qui est constituĂ©e de façon plus ou moins littĂ©rale par le fait que quelqu’un la connaĂźt. Mais il est naturel de supposer que, si Dieu existe, il sait, en vertu des pouvoirs de connaissance illimitĂ©s dont il dispose, s’il y a ou non des objets tels que les nombres rĂ©els ou les ensembles transfinis, sans que, comme le fait remarquer Dummett, cela doive ĂȘtre compris comme signifiant qu’il le sait parce qu’il sait s’il a ou non jugĂ© bon de crĂ©er des objets de cette sorte. Et, dans ce cas, que l’on soit ou non prĂȘt Ă  admettre que la vĂ©ritĂ© sur ces questions est constituĂ©e par la connaissance qu’il a d’elle, il est clair que ces questions sont dĂ©cidables, mĂȘme si nous n’avons pas rĂ©ussi jusqu’à prĂ©sent et ne rĂ©ussirons peut-ĂȘtre jamais Ă  les dĂ©cider. 11Dans le chapitre 15 de The Logical Basis of Metaphysics 1991, Dummett observe que, si le rĂ©alisme, c’est-Ă -dire l’acceptation du principe de bivalence pour toute proposition qui a un sens univoque, implique probablement comme une condition nĂ©cessaire le thĂ©isme, celui-ci n’est pas, en revanche, une condition suffisante pour le rĂ©alisme 15 Michael Dummett, The Logical Basis of Metaphysics, London, Duckworth, 1991, p. 351. C’est une illusion persistante de croire que, de la prĂ©misse que Dieu sait tout, on peut dĂ©duire qu’il sait si une proposition donnĂ©e quelconque est vraie ou fausse – c’est-Ă -dire, que ou bien il sait qu’elle est vraie ou bien il sait qu’elle est fausse, et que son omniscience, par consĂ©quent, implique que la proposition est soit vraie soit fausse. Au contraire, le fait qu’elle est soit vraie soit fausse est requis comme une prĂ©misse supplĂ©mentaire pour dĂ©duire de son omniscience qu’il sait, au sens indiquĂ©, si elle est vraie ou fausse15. La raison de cela n’est pas difficile Ă  comprendre. L’omniscience divine implique que, pour toute proposition p, Dieu sait que p si p est vraie ; mais cela ne nous dit pas quelles sont les propositions qui sont vraies. Et cela ne constituerait pas non plus une rĂ©ponse satisfaisante de dire que Dieu, qui est l’auteur de toutes choses, sait dans tous les cas si elles sont ou ne sont pas telles ou telles. Car il pourrait, aprĂšs tout, avoir créé une rĂ©alitĂ© partiellement indĂ©terminĂ©e, qui n’est pas capable de rendre vraie ou fausse n’importe quelle proposition. 12Un vĂ©rificationniste, remarque Dummett, sera amenĂ© Ă  peu prĂšs inĂ©vitablement Ă  soutenir que la rĂ©alitĂ© est jusqu’à un certain point indĂ©terminĂ©e, car nous n’avons pas d’idĂ©e de la rĂ©alitĂ© en dehors de celle qui consiste Ă  la concevoir comme Ă©tant ce qui rend vraies les pensĂ©es vraies que nous pouvons entretenir et les propositions vraies que nous pouvons Ă©noncer. Par consĂ©quent, si nos propositions et nos pensĂ©es ne sont pas toutes, de façon dĂ©terminĂ©e, vraies ou fausses, nous devrons admettre que la rĂ©alitĂ© elle-mĂȘme est indĂ©terminĂ©e elle comporte des trous, Ă  peu prĂšs comme un roman en comporte, en ce sens qu’il y a des questions concernant les personnages auxquelles il ne donne pas de rĂ©ponse et pour lesquelles il n’y a, par consĂ©quent, pas de rĂ©ponse. Dummett proteste contre la tentation de considĂ©rer cela comme une supposition qui est en contradiction avec l’existence de Dieu, et soutient qu’un thĂ©iste peut, lui aussi, trouver des raisons de mettre en doute le principe de bivalence 16 Ibid., p. 318-319. J’ai entendu soutenir que c’est une doctrine athĂ©e, pour la raison que Dieu, qui n’est pas sujet Ă  nos limitations, doit savoir Ă  propos de toute proposition si elle est vraie ou fausse, de sorte que notre incapacitĂ© de dĂ©terminer cela ne devrait pas conduire un thĂ©iste Ă  mettre en doute la bivalence. Cet argument commet une pĂ©tition de principe en assumant que toute proposition est soit vraie soit fausse. Pour dire les choses de façon un peu irrĂ©vĂ©rencieuse, Dieu ne parle pas notre langage ; ses pensĂ©es ne sont pas nos pensĂ©es. Le recours Ă  la connaissance de Dieu ne sert en aucune façon Ă  expliquer en quoi consiste notre connaissance des conditions qui doivent ĂȘtre remplies pour que nos propositions soient vraies, s’il n’y a pas d’explication de cela sans le recours en question. Le recours est pertinent pour ce qui est de la distinction entre la rĂ©alitĂ© telle qu’elle nous apparaĂźt et la rĂ©alitĂ© telle qu’elle est en elle-mĂȘme. Nous aspirons Ă  nous rapprocher le plus possible d’une apprĂ©hension de la façon dont elle se prĂ©sente en elle-mĂȘme, mais cette expression n’a pas de sens dĂ©fendable dans un univers incréé ou s’autocrĂ©ant. Tout comme il n’y a pas de faille entre la vĂ©ritĂ© d’une proposition et la connaissance que Dieu a du fait qu’elle est vraie, l’expression comment les choses sont en elles-mĂȘmes » n’a, en fin de compte, pas de signification distincte de comment Dieu les apprĂ©hende comme Ă©tant ». Sauf dans cette interprĂ©tation, la prĂ©tention d’avoir dĂ©crit le monde comme il est en lui-mĂȘme – une description qui assumera un caractĂšre mathĂ©matique toujours plus purement formel, dans la mesure oĂč elle est progressivement vidĂ©e des termes dont les significations dĂ©rivent de nos facultĂ©s d’observation – n’a aucun caractĂšre intelligible. Mais il n’y a pas de raison pour laquelle Dieu, en crĂ©ant l’univers, devrait avoir rempli tous les dĂ©tails, avoir fourni des rĂ©ponses Ă  toutes les questions concevables, pas plus qu’un artiste humain – un peintre ou un romancier – n’est contraint de le faire. La conception d’un univers créé, mais partiellement indĂ©terminĂ©, est plus facile Ă  comprendre que celle d’un univers incréé et partiellement indĂ©terminĂ©16. 13Un rĂ©aliste mĂ©taphysique qui est convaincu de l’existence de Dieu peut essayer de justifier son adhĂ©sion au principe de bivalence en invoquant le genre de rĂ©alitĂ© que Dieu a dĂ» crĂ©er et en arguant que celle-ci n’a pu ĂȘtre qu’une rĂ©alitĂ© capable de rendre, de façon dĂ©terminĂ©e, vraie ou fausse n’importe quelle proposition que nous sommes capables de formuler. C’est de cette façon-lĂ  qu’un philosophe comme Leibniz se reprĂ©sente le monde que Dieu a créé. Mais Dummett, pour les raisons que nous venons de voir, laisse peu d’espoir au rĂ©aliste de rĂ©ussir Ă  justifier sa position de cette façon. Il faudrait, pour cela, en effet, qu’il dispose d’arguments qui lui permettent de lĂ©gitimer, de façon indĂ©pendante, son acceptation du principe de bivalence. Car mĂȘme Dieu ne peut connaĂźtre comme vraie une proposition que si elle est vraie. MĂȘme dans le cas des propositions mathĂ©matiques, qui constituent l’objet du dĂ©bat entre les rĂ©alistes et les constructivistes, il ne faut pas s’imaginer que l’existence d’un sujet omniscient comme Dieu apporte nĂ©cessairement de l’eau au moulin du rĂ©alisme. Comme l’explique Dummett 17 Ibid., p. 350. Le constructiviste admet qu’il est dĂ©terminĂ©, pour tout nombre naturel, s’il est premier ou composĂ© ; il nie qu’il en rĂ©sulte que la proposition selon laquelle il y a une infinitĂ© de nombres premiers jumeaux soit, de façon dĂ©terminĂ©e, vraie ou fausse. Le rĂ©aliste ne peut pas dĂ©montrer qu’elle en rĂ©sulte en l’assumant simplement, mĂȘme s’il fait un dĂ©tour par la connaissance que Dieu a des vĂ©ritĂ©s mathĂ©matiques. Il ne rĂ©sulte pas plus que Dieu doit savoir s’il y a une infinitĂ© de nombres premiers jumeaux du fait qu’il connaĂźt tout nombre premier qu’il ne rĂ©sulte qu’un calculateur prodige peut dire s’il y a une infinitĂ© de nombres premiers jumeaux du fait qu’il est capable de dire instantanĂ©ment de n’importe quel nombre, aussi grand soit-il, s’il est premier ou composĂ©17. On pourrait exprimer cela en disant que, s’il est entendu que Dieu fait des mathĂ©matiques, il faut tout de mĂȘme encore dĂ©cider si cela signifie qu’il se comporte comme un calculateur prodige ou comme un authentique mathĂ©maticien. On peut lĂ©gitimement soutenir que mĂȘme Dieu ne peut pas comprendre l’usage du quantificateur universel en mathĂ©matiques d’une façon complĂštement diffĂ©rente de celle dont nous le faisons. Mais admettons mĂȘme qu’il le fasse. De quel secours cela pourrait-il bien ĂȘtre pour nous ? Le rĂ©aliste cherche Ă  nous attribuer une comprĂ©hension du quantificateur en question comme un opĂ©rateur qui produit un Ă©noncĂ© dont la valeur de vĂ©ritĂ© est dĂ©terminĂ©e conjointement par ses cas particuliers, indĂ©pendamment des moyens que nous avons de le reconnaĂźtre comme vrai ou faux. Quand le domaine est infini, la situation devient problĂ©matique l’antirĂ©aliste nie que nous puissions comprendre l’énoncĂ© de cette façon ; et si le rĂ©aliste invoque comme argument le fait que c’est de cette façon-lĂ  que Dieu le comprend, la rĂ©ponse sera que, mĂȘme si un ange nous informait que c’est effectivement de cette façon-lĂ  que Dieu le comprend, il n’en rĂ©sulte sĂ»rement pas que nous puissions le comprendre ainsi ni mĂȘme, dans le pire des cas, le comprendre tout simplement. 14Comme le fait remarquer Dummett, l’antirĂ©aliste pourrait mĂȘme douter de ce qu’affirme l’ange et soutenir que, si un processus infini est un processus tel que cela n’a pas de sens de parler de lui comme ayant Ă©tĂ© effectuĂ© jusqu’au bout, cela n’a pas de sens non plus de parler de Dieu comme l’ayant effectuĂ© jusqu’au bout 18 Ibid., p. 350-351. Notre objection Ă  l’imagination de l’arithmĂ©ticien supra-humain Ă©tait qu’il n’existe pas ; une objection plus forte est que, puisqu’il effectue jusqu’au bout des tĂąches infinies et utilise leur rĂ©sultat pour Ă©valuer des propositions quantifiĂ©es, il ne pourrait pas exister18. 15Si la question est posĂ©e dans les termes de la confrontation entre le rĂ©alisme et l’antirĂ©alisme sĂ©mantiques, la rĂ©ponse semble encore plus claire. La question n’est plus de savoir si nous avons des raisons suffisantes de croire Ă  l’existence d’une rĂ©alitĂ©, créée ou incréée, qui est capable de rendre vraies ou fausses toutes les propositions que nous pourrions ĂȘtre amenĂ©s Ă  formuler et qui nous autorise par consĂ©quent Ă  affirmer sans restriction le principe de bivalence. Elle est de savoir si nous avons rĂ©ussi Ă  donner Ă  nos propositions une signification telle qu’elles sont pourvues de conditions de vĂ©ritĂ© comprises de la façon dont le rĂ©aliste propose de les comprendre. Et, pour dĂ©cider cette question-lĂ , le recours Ă  Dieu ne peut Ă©videmment nous ĂȘtre d’aucune aide 19 Ibid. Un recours Ă  des ĂȘtres hypothĂ©tiques ne nous est d’aucun secours quand nous devons donner une explication de la signification que nous attachons aux phrases de notre langage19. Si on regarde les choses de cette façon, on ne sera pas vraiment tentĂ© d’imputer Ă  Dieu des questions qui sont censĂ©es constituer un Ă©quivalent plus ou moins plausible de celles que nous nous posons en philosophie. On se dira plutĂŽt que les questions philosophiques sont essentiellement et mĂȘme, d’une certaine façon, uniquement des questions que nous nous posons. On pourrait ĂȘtre tentĂ© d’objecter que cela risque de les rendre en fin de compte moins philosophiques, au moins en ce sens qu’elles se trouvent affectĂ©es d’une certaine contingence et d’une certaine dĂ©pendance par rapport au langage dont nous nous sommes pourvus et Ă  l’usage que nous faisons de celui-ci. Je crois, au contraire, que cela ne les rend pas moins, mais plutĂŽt plus philosophiques. Il ne devrait pas ĂȘtre nĂ©cessaire de prĂ©ciser que cela ne fait, en tout cas aucun doute pour Dummett. Quand les questions philosophiques sont reformulĂ©es dans les termes de la thĂ©orie de la signification, elles ne deviennent pas moins, mais au contraire plus conformes Ă  l’idĂ©e que l’on se fait gĂ©nĂ©ralement de ce que doit ĂȘtre une question philosophique. Comme l’explique Dummettt 20 Ibid., p. 8. Aucune observation d’objets ou de processus physiques ordinaires ne nous dira s’ils existent indĂ©pendamment des observations que nous faisons d’eux. Un pot que l’on ne regarde pas bouillira, c’est entendu, comme s’il absorbait de la chaleur de façon aussi continue pendant qu’il n’est pas observĂ© que pendant qu’il est observĂ©. Mais c’était dĂ©jĂ  une des donnĂ©es du problĂšme. Aucune recherche mathĂ©matique ne peut dĂ©terminer si les Ă©noncĂ©s mathĂ©matiques ont des valeurs de vĂ©ritĂ© mĂȘme quand ils sont hors de portĂ©e des dĂ©monstrations ou des rĂ©futations ; aucun psychologue ne peut dĂ©terminer si les Ă©tats mentaux se produisent indĂ©pendamment de leurs manifestations. La thĂšse rĂ©aliste n’est pas un objet possible de dĂ©couverte en mĂȘme temps que les propositions qu’elle propose d’interprĂ©ter c’est une doctrine concernant le statut de ces propositions20. Et cette doctrine est, bien entendu, une doctrine Ă©minemment philosophique. Archives liste des articles archivĂ©s ProgrĂšs technique et pluralisme Ă©thique, par CĂ©line Ehrwein Remarques prĂ©liminaires J’ai Ă©tĂ© invitĂ©e Ă  m’exprimer dans ce colloque en tant qu’éthicienne protestante. Cette appellation peut sembler un peu prĂ©tentieuse au premier abord VoilĂ  quelqu’un qui vient nous faire la morale, qui vient nous dire comment il faut agir. Bref, voilĂ  quelqu’un qui prĂ©tend nous rĂ©vĂ©ler la "grande vĂ©ritĂ© Ă©thique"». Je voudrais prĂ©ciser d’emblĂ©e que ce n’est pas du tout comme cela que j’envisage mon travail. De fait, je ne crois pas que mon rĂŽle d’éthicienne soit de dire la vĂ©ritĂ© en matiĂšre de bien et de mal. Ma tĂąche consiste plutĂŽt Ă  offrir des outils, des moyens de rĂ©flexion qui nous permettent Ă  chacun et chacune de comprendre et d’évaluer les motivations de nos actions. Il s’agit donc d’analyser de façon critique les valeurs auxquelles nous croyons et les rĂšgles morales auxquelles nous nous soumettons parfois sans mĂȘme nous en rendre compte. Et cela, afin de nous aider Ă  nous orienter dans les choix individuels et collectifs que nous faisons chaque jour. J’estime en outre que je suis d’abord Ă©thicienne, avant d’ĂȘtre thĂ©ologienne. Cela signifie qu’il est important pour moi de distinguer les aspects strictement Ă©thiques d’un problĂšme du regard spĂ©cifique qu’une tradition religieuse comme la tradition chrĂ©tienne peut porter sur ce problĂšme. Cette exigence est sans doute un peu illusoire, car il n’est de loin pas toujours Ă©vident de sĂ©parer la question Ă©thique et l’approche religieuse de cette question Ă©thique. Il arrive ainsi assez souvent qu’une femme refuse un avortement pour des motifs religieux. La problĂ©matique Ă©thique croise alors directement la problĂ©matique religieuse. Je pense nĂ©anmoins qu’il est nĂ©cessaire de diffĂ©rencier les deux niveaux. Car ce n’est qu’en respectant les diffĂ©rents aspects d’un problĂšme qu’il est possible d’éviter qu’une tradition religieuse ne s’impose d’emblĂ©e comme la vĂ©ritĂ© Ă©thique sur ce questions Ces quelques prĂ©cisions faites, il m’est dĂšs lors possible d’aborder le sujet de cet exposĂ© qui comporte en fait deux questions. a il s’agit tout d’abord de nous interroger sur la vĂ©ritĂ©, et plus particuliĂšrement, sur la vĂ©ritĂ© en Ă©thique. Existe-il une vĂ©ritĂ© en Ă©thique ? Quelle est-elle ? D’oĂč vient-elle ? Est-ce une vĂ©ritĂ© qui nous est imposĂ©e par la nature ? Par Dieu ? Ou bien, au contraire, il n’y a pas de vĂ©ritĂ© Ă©thique ? Ou, il y en a plusieurs une vĂ©ritĂ© Ă©thique du christianisme, une vĂ©ritĂ© Ă©thique de l’Islam, une vĂ©ritĂ© athĂ©e, une vĂ©ritĂ© libĂ©rale? b la deuxiĂšme question concerne le problĂšme de l’interdit. Parler de permissivitĂ© Ă©thique, comme je le fais dans le titre de ma contribution, suggĂšre en effet que si certaines choses sont permises, d’autres ne le sont pas. Autrement dit, il existe des interdits. Que signifient ces interdits ? Pourquoi et au nom de quoi peut-on interdire certains actes ? Est-il encore lĂ©gitime de nos jours d’interdire ? Nous essayerons de rĂ©pondre Ă  ces questions et de montrer le lien qui les unit. I . Interdit, devoirs et normes des contraintes indispensables Ă  la vie en sociĂ©tĂ© Je voudrais commencer par rappeler briĂšvement le rĂŽle fondamental que joue l’interdit non seulement dans la constitution de l’individu, mais aussi pour la vie de la sociĂ©tĂ©. a Sans entrer dans les dĂ©tails, disons simplement que la psychanalyse a mis en Ă©vidence l’importance de l’Interdit pour la santĂ© psychique de l’individu. L’Interdit pour Freud est donnĂ© par la Loi du PĂšre. Cette Loi instaure des limites Ă  la jouissance de l’individu. Or, c’est prĂ©cisĂ©ment parce que la Loi limite la jouissance que la jouissance devient possible. Autrement dit, l’Interdit pose le cadre Ă  l’intĂ©rieur duquel l’individu peut satisfaire son besoin de jouissance sans que ce besoin ne se retourne contre lui. Freud jouera d’ailleurs sur les mots en disant que l’Interdit ouvre l’espace de l’inter-dit», c’est-Ă -dire l’espace qu’il y a entre les dits, entre les mots. b Outre leur fonction centrale pour la santĂ© psychique de l’individu, les interdits jouent Ă©galement un rĂŽle essentiel pour la constitution de la sociĂ©tĂ©. Ainsi, par exemple, l’interdit du meurtre est nĂ©cessaire Ă  la survie de la sociĂ©tĂ©. Imaginons une sociĂ©tĂ© oĂč le meurtre serait autorisĂ©, et oĂč l’on pourrait tuer son voisin sans craindre d’ĂȘtre condamnĂ© par la justice. Une telle situation serait totalement invivable le droit de tuer autrui et de se venger du meurtre d’un proche risquerait en effet d’entraĂźner au final la mort de tous .1 c Pour Freud, il existe trois interdits fondamentaux l’inceste, le meurtre et le cannibalisme. Mais on s’accorde en gĂ©nĂ©ral pour reconnaĂźtre qu’il existe d’autres interdits. On reconnaĂźt ainsi qu’il est en principe interdit de voler, de porter un faux tĂ©moignage contre autrui, d’emprisonner quelqu’un sans raison, de torturer une personne, etc. Le philosophe Paul RicƓur a beaucoup insistĂ© dans son Ɠuvre sur l’importance des interdits pour la vie en sociĂ©tĂ©. Il a notamment montrĂ© comment l’interdit vient mettre un frein Ă  la violence qui naĂźt de notre dĂ©sir de libertĂ©. Ma libertĂ©, si elle est au dĂ©part une bonne chose, risque en effet toujours de se transformer en acte de violence contre l’autre. L’interdit a donc une fonction nĂ©gative il est une limite Ă  ma libertĂ©. Ce n’est pas parce que je suis un ĂȘtre libre que je peux faire n’importe quoi au nom de ma libertĂ©. Ma libertĂ© ne m’autorise pas Ă  attenter Ă  la vie d’autrui et Ă  ses intĂ©rĂȘts. d Mais l’interdit a aussi une fonction positive. En effet, comme je l’ai dĂ©jĂ  Ă©voquĂ©, la limite que pose l’interdit ouvre aussi l’espace de ce qu’il est permis de faire. Ainsi par exemple, l’interdiction de voler libĂšre la voie Ă  une multitude d’autres actions possibles. Dire qu’il est interdit de voler, c’est aussi dire quelque part qu’il est permis d’échanger, de partager, de donner, de prĂȘter. e À cĂŽtĂ© des interdits, il existe encore d’autres rĂšgles morales. Je veux parler ici des devoirs. À l’inverse des interdits qui s’expriment de façon nĂ©gative ne fais pas ceci, ne fais pas cela», les devoirs se formulent de façon positive si tu veux ĂȘtre heureux et vivre en paix avec les autres, alors tu dois faire ceci». Ils sont Ă©galement indispensables Ă  la vie de la sociĂ©tĂ©. Parmi les diffĂ©rents devoirs, nous trouvons le devoir de porter secours Ă  une personne en danger, le devoir de respecter autrui, le devoir des parents de s’occuper de leurs enfants de les nourrir, de les loger, de les Ă©duquer, etc. f Les interdits et les devoirs forment ensemble ce que nous appelons les normes» .2 Ces normes ont toutes la mĂȘme fonction elle visent Ă  assurer la survie et le bien-ĂȘtre de la sociĂ©tĂ©. Et, c’est prĂ©cisĂ©ment parce que les normes sont si importantes, parce que sans elles les relations sociales seraient menacĂ©es, que personne ne peut prĂ©tendre leur Ă©chapper et refuser de s’y soumettre, sauf Ă  se mettre dĂ©libĂ©rĂ©ment en marge de la sociĂ©tĂ©. En principe, les normes sont donc valables pour tout le monde indiffĂ©remment et personne ne peut contester leur validitĂ©. II. La remise en question de l’interdit Or, on constate justement qu’aujourd’hui les normes sont de plus en plus contestĂ©es. De plus en plus de gens s’opposent Ă  l’idĂ©e que l’on puisse imposer des rĂšgles de conduite et contraindre chacun Ă  agir de telle ou telle maniĂšre. Cette remise en question des normes est selon moi la consĂ©quence de deux phĂ©nomĂšnes. 1. La LibertĂ© une entrave Ă  l’interdiction Le premier est liĂ© Ă  l’importance croissante que nous accordons Ă  la libertĂ© de l’individu. Ce phĂ©nomĂšne touche tout particuliĂšrement le domaine des interdits. De nos jours, tout le monde s’accorde pour dire que la libertĂ© individuelle est une valeur essentielle .3 Dans nos sociĂ©tĂ©s libĂ©rales et dĂ©mocratiques, la libertĂ© a d’ailleurs acquis une telle place que l’on est de moins en moins prĂȘts Ă  accepter que des interdits viennent la limiter. Du coup, il devient toujours plus difficile de justifier l’établissement de certaines interdictions. Je ne veux dire par lĂ  que les interdits sont en train de disparaĂźtre. Mais force est de constater que notre rapport Ă  l’interdit a changĂ©. Si nous sommes aujourd’hui encore disposĂ©s Ă  accepter que des normes limitent notre agir, c’est uniquement parce que nous estimons que c’est le seul moyen de protĂ©ger notre libertĂ©. En effet, si je veux pouvoir librement faire du commerce, choisir ma religion, parler et exprimer mon opinion, alors il faut que je m’astreigne Ă  certaines rĂšgles de conduite minimales. L’interdit est donc envisagĂ© comme quelque chose d’essentiellement nĂ©gatif il est un mal nĂ©cessaire auquel je consens dans le seul but de conserver ma libertĂ©. 2. L’écroulement de la vĂ©ritĂ© Ă©thique et ses consĂ©quences pour notre conception de l’interdit Le deuxiĂšme phĂ©nomĂšne qui conduit selon moi Ă  une remise en question des normes sociales est liĂ© Ă  la maniĂšre dont nous envisageons la question de la VĂ©ritĂ©. a On s’accorde en gĂ©nĂ©ral pour reconnaĂźtre que notre Ă©poque, que nous avons coutume d’appeler l’époque moderne, se distingue des Ă©poques prĂ©cĂ©dentes par le fait que nombre de nos certitudes se sont Ă©croulĂ©es. En effet, les grandes rĂ©volutions technologiques l’apparition du train, le dĂ©veloppement de l’industrie, la dĂ©couverte de nouveaux continents, d’autres façons de vivre, de croire, de penser, l’émergence de l’imprimerie et de nouveaux modes de communication, tous ces changements sont venus bouleverser notre conception traditionnelle du monde. Du coup, nos anciens schĂ©mas de pensĂ©e, notre ancienne façon d’organiser les rapports sociaux, de croire en Dieu, tout cela ne fonctionne plus de maniĂšre Ă©vidente. Nous sommes dĂšs lors conduits Ă  modifier notre ancienne vision du monde et Ă  rĂ©-agencer les rapports entre la religion, l’économie, la politique, l’éthique, etc. Alors que par le passĂ© ces diffĂ©rents domaines formaient entre eux un ensemble relativement cohĂ©rent, on peine parfois aujourd’hui Ă  voir encore le lien qui les unit. Ainsi, par exemple, la relation de continuitĂ© qu’il y avait autrefois entre l’organisation monarchique de la vie politique et la vision religieuse du monde semble s’ĂȘtre progressivement estompĂ©e. Il devient toujours plus difficile de percevoir le rapport qu’il y a entre notre conception de l’État moderne et notre vision de la religion ces deux domaines nous semblent de plus en plus Ă©trangers l’un Ă  l’autre. Le monde tel que nous le connaissons aujourd’hui nous apparaĂźt comme fragmentĂ©. Il se compose d’une multitude de systĂšmes diffĂ©rents le systĂšme Ă©conomique, le systĂšme religieux, le systĂšme juridique, le systĂšme politique, etc. qui fonctionnent chacun selon sa logique propre. Chaque domaine de la vie a ses propres rĂšgles, sa propre cohĂ©rence, ses propres critĂšres d’organisation, bref sa propre vĂ©ritĂ©. La VĂ©ritĂ© avec un grand V, celle qui organisait les diffĂ©rents domaines de la vie entre eux et qui donnait une certaine cohĂ©rence Ă  notre vision du monde, n’existe donc plus. Mais nous avons dĂ©sormais affaire Ă  une pluralitĂ© de vĂ©ritĂ©s partielles la vĂ©ritĂ© Ă©conomique, la vĂ©ritĂ© Ă©thique, la vĂ©ritĂ© religieuse, etc.. Ce phĂ©nomĂšne de fragmentation de la VĂ©ritĂ© se poursuit et s’accentue de nos jours au point que chaque systĂšme tend Ă  se subdiviser Ă  son tour. Ainsi, le domaine de l’éthique se morcelle en une multitude de vĂ©ritĂ©s Ă©thiques4. Chaque culture, chaque groupe social, chaque personne mĂȘme possĂšde sa vĂ©ritĂ© Ă©thique. Il n’y a plus un seul comportement juste face Ă  la question de l’avortement, de l’euthanasie ou du maĂŻs transgĂ©nique, mais plusieurs attitudes semblent Ă©galement dĂ©fendables d’un point de vue Ă©thique. b Il va sans dire que cette multiplication des vĂ©ritĂ©s Ă©thiques nous fait tendre vers un certain relativisme. DĂšs lors qu’il n’existe plus une seule vĂ©ritĂ© Ă©thique, toutes les Ă©thiques se valent, aucune n’est meilleure que l’autre et plus personne ne peut prĂ©tendre dĂ©fendre des normes plus justes ou des valeurs plus prĂ©cieuses que les autres. Il devient du coup d’autant plus difficile d’imaginer des normes morales communes. En effet, comment et au nom de quelle vĂ©ritĂ© supĂ©rieure aurait-on le droit d’interdire tel ou tel comportement, d’imposer telle ou telle rĂšgle morale ? Chacun n’a-t-il pas le droit de dĂ©fendre sa propre conviction, sa propre croyance Ă©thique? Notre rapport Ă  l’euthanasie est Ă  ce titre exemplaire, et ce d’autant plus que l’on touche avec elle Ă  l’interdit fondamental du meurtre. Il est intĂ©ressant en effet de noter que chacun envisage cette question Ă  partir de ce qui constitue pour lui la vĂ©ritĂ©. Certains estiment ainsi qu’il faut autoriser l’euthanasie. D’autres qu’elle doit ĂȘtre punie. D’autres encore pensent qu’il est indispensable de condamner moralement l’euthanasie, mais qu’il n’est pas nĂ©cessaire de poursuivre juridiquement les mĂ©decins qui la pratiquent. Face Ă  une telle diversitĂ© d’opinions Ă©thiques, est-il encore possible de trouver un consensus Ă©thique ? Dans ce contexte de relativisme Ă©thique, il semble illusoire de vouloir instaurer des normes morales communes. Cependant, comme je l’ai dĂ©jĂ  dit, nous avons besoin de telles rĂšgles pour pouvoir vivre ensemble. Nous avons besoin d’interdits pour mettre un frein Ă  la violence inhĂ©rente Ă  notre libertĂ©. Mais une restauration des rĂšgles morales est-elle encore possible aujourd’hui ? Ne risque-t-on pas d’aboutir inĂ©vitablement Ă  une nouvelle absolutisation des normes ? Peut-on imposer des rĂšgles de vie commune sans sombrer dans le moralisme et la dictature de l’éthique ? Autrement dit, est-il vraiment possible d’établir des interdits sans porter atteinte Ă  la libertĂ© de l’individu ? L’ébranlement de nos certitudes morales semble avoir radicalement mis en doute toute tentative visant Ă  rĂ©aliser un accord sur ce qu’il est juste de faire et sur ce qui ne l’est pas, de sorte qu’il ne paraĂźt plus possible aujourd’hui d’assurer la validitĂ© de nos choix et de nos actions. CĂ©line Ehrwein haut La religion et la morale, par Alain Houziaux Il faut clairement distinguer la morale de la plupart des religions n’ont pas de dimension champ de la religion, c’est celui du rituel, du sacrĂ©, de la puretĂ©, de la mystique, ce qui n’a rien Ă  voir avec la morale. La morale est une composante du fait humain et non du fait religieux. Elle est de l’ordre des mƓurs et non de la foi. “La morale n’est pas un ordre venu de dehors, mĂȘme du ciel ; c’est la voix de la raison humaine, mĂȘme si celle-ci est reconnue, aprĂšs coup, par certains, comme une voix divine”1. La morale, c’est un fait naturel2 par opposition Ă  surnaturel. La morale, c’est le propre de l’homme mĂȘme si ses formes dĂ©pendent non seulement de sa nature mais aussi de sa culture. La morale a pour objet le bien et le le bien et le mal ne sont pas des valeurs religieuses, mais simplement des valeurs Ă  CĂ©sar ce qui est Ă  n’est pas nĂ©cessaire d’ĂȘtre croyant pour ĂȘtre moral, Dieu merci ! Ainsi, il n’y pas une morale qui serait chrĂ©tienne et qui, de ce fait, serait diffĂ©rente de la morale laĂŻque et n’y a pas de morale et mĂȘme l’agape, c’est-Ă -dire l’amour gratuit, n’est pas l’apanage du Christianisme mais relĂšve de la dignitĂ© de l’homme et d’une exigence universelle. ‱ Et pourtant, il faut le reconnaĂźtre, la morale de notre civilisation s’est formĂ©e sur l’influence du judaĂŻsme et du semble contredire le point prĂ©cĂ©dent, mais en fait il n’en est rien. Pour tenter de prĂ©ciser les relations complexes entre le judĂ©o-christianisme et la morale, on peut reprendre la mĂ©taphore du conte d’Andersen Le vilain petit JudaĂŻsme et le Christianisme ont donnĂ© naissance Ă  la morale un peu comme les canards du conte on couvĂ© l’Ɠuf du judĂ©o-christianisme a couvĂ© et Ă©levĂ© la morale, mais la morale n’est pas nĂ©e du est le “vilain petit canard” du judĂ©o-christianisme. Ainsi la religion n’est en rien la mĂšre de la le fait d’ĂȘtre “religieux” n’implique pas que l’on soit “moral”.Il se peut mĂȘme que le sentiment religieux soit si fort et si exclusif qu’il oblitĂšre le sens moral naturel le fanatisme religieux en est un exemple. Et de mĂȘme, dans une sociĂ©tĂ© donnĂ©e, la morale prend de l’importance lorsque la religion et le surnaturel perdent de leur importance et peut-ĂȘtre mĂȘme parce qu’ils perdent de leur importance c’est sans doute ce qu’il se passe en ce moment.Et c’est pourquoi la morale peut apparaĂźtre comme un hĂ©ritage du sentiment religieux. ‱ On peut dire en effet que la morale, c’est ce qu’il reste de la religion quand il n’y a plus de religion. Ainsi, “la morale, c’est ce qui reste de la peur quand on l’a oubliĂ©e” peur est une caractĂ©ristique fondamentale de la peur, c’est la peur de Dieu et de son jugement. Et cette peur a pour avatar5 le sens moral lorsque la religion se perd, c’est-Ă -dire lorsque la peur de Dieu se effet le dĂ©sir de se conduire de maniĂšre morale procĂšde d’une forme de crainte, la crainte de dĂ©mĂ©riter, la crainte de ne pas faire son devoir, la crainte d’ĂȘtre mal cette crainte peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une rĂ©manence du sentiment religieux. Ainsi de mĂȘme, la morale, c’est ce qu’il reste du commandement religieux de l’amour et du sacrifice de soi lorsqu’il n’est plus considĂ©rĂ© comme un commandement de l’amour gratuit et du sacrifice de soi est une prescription de la religion et en particulier de la religion si cette prescription religieuse perd son caractĂšre absolu et sacrificiel par exemple parce qu’elle est jugĂ©e masochiste et culpabilisante, l’exigence morale prend le morale appelle Ă  un ersatz de l’amour. “La morale est un semblant d’amour agir moralement, c’est agir comme si l’on aimait”6. Ainsi encore, la morale, c’est Ă©galement ce qu’il reste de la prĂ©dication de JĂ©sus-Christ, lorsqu’on a oubliĂ© son sens et sa radicalitĂ© iconoclaste. La prĂ©dication de JĂ©sus-Christ, c’est l’anti-morale, c’est l’absolution de l’immoralitĂ©, puisque c’est l’annonce de la misĂ©ricorde et du pardon de Dieu pour les la prĂ©dication de JĂ©sus, la loi morale n’est lĂ  que pour dĂ©montrer au pĂ©cheur son pĂ©chĂ© afin d’aiguiser son appel Ă  la grĂące et au pardon de lorsque l’on oublie que la prĂ©dication de JĂ©sus est celle de la grĂące, on la comprend seulement comme une forme de morale. Ainsi, enfin, la morale, c’est ce qu’il reste de la foi quand on a perdu la foi se moque de la morale, car elle est de l’ordre de la passion et de la dĂ©nĂ©gation des rĂšgles et des sagesses de ce la foi, lorsqu’elle perd sa radicalitĂ© passionnelle, se transforme en morale et en rĂ©flexion sur le bien et le rĂ©cit biblique de la “chute” c’est-Ă -dire de consommation par Adam et Eve du fruit de l’Arbre de la connaissance du bien et du mal le montre effet, ce rĂ©cit va mĂȘme jusqu’à considĂ©rer que la tentation de vouloir connaĂźtre ce qui est le bien et le mal constitue la premiĂšre dĂ©sobĂ©issance Ă  Dieu. On ne peut diffĂ©rencier plus nettement la morale de la religion. ‱ Et pourtant c’est vrai, la morale, la nĂŽtre, celle du monde occidental, celle des Droits de l’Homme, est enfant du uniquement comme le petit cygne est un “enfant” des canards. On pourrait peut-ĂȘtre mĂȘme dire que le judĂ©o-christianisme a couvĂ© des Ɠufs qui ne sont pas les siens faute peut-ĂȘtre de pouvoir pondre et couver des Ɠufs qui lui soient propres ! Ces “vilains petits canards” qui ont Ă©tĂ© couvĂ©s et Ă©levĂ©s par le judĂ©o-christianisme, sans ĂȘtre pour autant des enfants du judĂ©o-christianisme, ce sont la science dont le Christianisme a lĂ©gitimĂ© le caractĂšre laĂŻque et profane7, et aussi les Droits de l’Homme qui peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme un avatar de la loi de MoĂŻse, et aussi la morale qui peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un substitut casuistique de l’exigence du pur amour, du sacrifice parfait et total. ‱ Mais depuis quelques temps, le judĂ©o-christianisme a une attitude ambivalente vis-Ă -vis de ces “vilains petits canards” qu’elle a couvĂ©s et spĂ©cialement vis-Ă -vis de la morale. Depuis peu, catholiques et protestants sont tombĂ©s d’accord pour dire que l’homme est justifiĂ© par grĂące seule. S’il en est ainsi, c’est donc qu’il ne l’est pas par ses mĂ©rites ni par son attitude fait d’agir moralement n’est plus considĂ©rĂ© comme la condition nĂ©cessaire du salut. Dans ce cas, quelle place peut-on faire Ă  la morale ? Certains diront que le chrĂ©tien doit tenter de vivre de maniĂšre morale par reconnaissance envers Dieu pour la justification par grĂące seule qui lui a Ă©tĂ© accordĂ©e indĂ©pendamment de ses mĂ©rites et de sa conduite morale.Il nous faudrait donc vivre de maniĂšre morale par reconnaissance envers Dieu, et ce alors mĂȘme que la justification et le salut nous ont Ă©tĂ© accordĂ©s par grĂące c’est-Ă -dire mĂȘme si nous sommes immoraux, et peut-ĂȘtre parce que nous sommes immoraux. D’autres diront que le chrĂ©tien doit tenter de vivre de maniĂšre morale non pour des raisons religieuses et individuelles, mais pour des raisons profanes et sociales.Pour en ĂȘtre chrĂ©tien, on n’en est pas moins ceci n’a pas Ă  ĂȘtre compris comme une forme de concession Ă  la comme une place lĂ©gitime donnĂ©e Ă  l’homme effet, en accord avec la “thĂ©ologie des deux rĂšgnes”, c’est la foi elle-mĂȘme qui reconnaĂźt la pleine lĂ©gitimitĂ© et la pleine indĂ©pendance du rĂšgne du profane dont fait partie la c’est pour faire honneur au fait que nous sommes “hommes” et Ă  cette dignitĂ© laĂźque, naturelle et profane, que le chrĂ©tien doit tenter de vivre de maniĂšre morale. Quant Ă  moi, je prendrai une position l’ai dit, qu’il n’y a pas de morale n’y a qu’une morale sociale et naturelle, laĂŻque et il y a une maniĂšre chrĂ©tienne de vivre cette morale naturelle et non modalitĂ© “chrĂ©tienne”, c’est celle de la pour rien, gratuitement et sans raison que nous avons Ă  tenter de vivre de maniĂšre sais bien que “pour rien” et “pour Dieu” sont trĂšs Ă  tout prendre, je prĂ©fĂšre “pour rien”.Car faire quelque chose Ă  la seule gloire de Dieu soli deo gloria, c’est le faire “pour rien”, sans en retirer aucun profit. Car la foi, Simone Weil le dit clairement, c’est non pas ce qui donne une raison d’ĂȘtre Ă  la vie, au travail, Ă  la souffrance et Ă  la morale, mais c’est ce qui nous dispense de chercher une raison d’ĂȘtre Ă  la vie, au travail, Ă  la souffrance et Ă  la nous savons que nous sommes justifiĂ©s par grĂące, nous sommes libĂ©rĂ©s de la prĂ©occupation d’avoir Ă  donner un sens et une raison d’ĂȘtre Ă  la vie et Ă  la chrĂ©tien accepte le “pour rien”, le “sans raison” et mĂȘme l’absurde de l’exigence morale. Il fait de la gratuitĂ© sa rĂ©ponse Ă  la grĂące. “Puisque nous avons reçu gratuitement, donnons gratuitement”8. Et donner gratuitement, c’est vivre de maniĂšre morale, gratuitement, sans raison. Ce serait se mĂ©prendre que de croire qu’il faut tenter de vivre de maniĂšre morale par reconnaissance pour la justification par grĂące qui nous a Ă©tĂ© n’en est seule rĂ©ponse cohĂ©rente avec le fait que nous sommes justifiĂ©s par grĂące seule, c’est l’acceptation du fait qu’il nous faut vivre, agir et ĂȘtre moral sans aucune raison, sans aucune justification. ‱ Ainsi, le Christianisme, depuis quelques dĂ©cennies a entrepris de renier “le vilain petit canard” de la morale qu’il a pourtant couvĂ© et fait il n’y est pas allĂ© de main morte ! Et il s’est dĂ©barrassĂ©, Ă  tort Ă  mon avis, des notions de pĂ©chĂ©, de culpabilitĂ©, de moralitĂ©, d’examen de conscience, de confession des pĂ©chĂ©s ! Un peu trop vite Ă  mon voudrais dire je voudrais donner des raisons qui sont plutĂŽt d'opportunitĂ© historique. Le Christianisme authentique est peut-ĂȘtre en train de religion du XXIĂšme siĂšcle ne sera pas le Christianisme, en tout cas pas le Christianisme de JĂ©sus-Christ, le doux prophĂšte de GalilĂ©e qui prĂȘche la grĂące pour les religion du XXIĂšme siĂšcle sera peut-ĂȘtre celle du fanatisme, du totalitarisme et de l’intĂ©grisme ou celle d’une sorte de religiositĂ© “solf”, syncrĂ©tiste et vaguement l’un et l’autre cas, il n’est pas certain que la morale, et spĂ©cialement la morale de l’amour gratuit et du renoncement Ă  soi-mĂȘme, ait une place assurĂ©e. Et peut-ĂȘtre regrettera-t-on au XXIĂšme siĂšcle que le Christianisme ait reniĂ© son vilain petit canard de morale qui aurait pu ĂȘtre son seul hĂ©ritage, sa seule survivance dans un monde dĂ©christianisĂ©, paganisĂ© et fanatisĂ©. A mon sens, ce qu’il doit rester du judĂ©o-christianisme authentique, mĂȘme si celui-ci venait de disparaĂźtre en tant que foi Ă  la GrĂące, c’est le sens de la gratuitĂ©, du “pour rien”, du “à la seule gloire de Dieu”. Et en particulier le sens d’une morale “pour rien”, “pour l’absurde”9. Si ce sens du “pour rien” se meurt lui aussi, la morale deviendra un outil comme un autre service du profit, de la rĂ©ussite et de la promotion les entreprises on enseigne dĂ©jĂ  qu’il faut ĂȘtre moral parce que, en fin de compte, “ça paye”. J’ai peur que le sens de la gratuitĂ© et du “pour rien” ne soit en train de se je ne voudrais pas qu’il en soit moi, le propre de l’homme, sa dignitĂ© propre, c’est l’aptitude Ă  la gratuitĂ©, au “pour rien”, au “mĂȘme si c’est absurde”.Il me semble indispensable que l’attitude morale reste une attitude dĂ©sintĂ©ressĂ©e, gratuite, pour l’honneur de l’homme, Ă  dĂ©faut de pouvoir rester “pour l’honneur de Dieu”. Si nous n’avons Ă  retenir qu’une seule chose de la prĂ©dication chrĂ©tienne, je voudrais que ce soit le sens de la mĂȘme si le credo quia absurdum10 de la foi judĂ©o-chrĂ©tienne venait Ă  disparaĂźtre, je voudrais que, nĂ©anmoins, persiste, aprĂšs lui, un “je veux rester un ĂȘtre moral, mĂȘme si c’est absurde, parce que c’est absurde”. Alain Houziaux haut

avons nous le devoir de chercher la verite